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trouve un plaisir incroyable dans le rebutant bavardage de têtes indigènes des plus vulgaires et toutes pleines de leurs mérites, qu’on proclame de grands esprits. Cependant Hamann a traduit ces Dialogues ; Kant en a revu la traduction, et dans sa vieillesse encore il voulait pousser le fils d’Hamann à la publier, trouvant insuffisante celle de Platner. (Voir Biographie de Kant, par F. W. Schubert, pages 81 et 165.) — D’une seule page de David Hume, il y a plus à tirer que de toutes les œuvres philosophiques réunies d’Hegel, de Herbart et de Schleiermacher.

Le fondateur de la théorie opposée, de l’optimisme systématique, est Leibniz, dont je n’ai pas l’intention de nier les mérites philosophiques, quoique je n’aie jamais réussi à pénétrer le vrai sens de la Monadologie, de l’harmonie préétablie et de l’identitas indiscernibilium. Ses Nouveaux essais sur l’entendement ne sont qu’un extrait de l’ouvrage de Locke justement célèbre de par le monde ; par la critique détaillée, destinée à corriger Locke, mais bien faible dont il accompagne cet extrait, il s’oppose à Locke avec aussi peu de bonheur qu’au système de la gravitation de Newton par son Tentamen de motuum cœlestium causis. La Critique de la raison pure est dirigée spécialement contre cette philosophie de Leibniz-Wolf et présente avec elle un rapport de polémique, même de polémique destructive, comme avec celle de Locke et Hume celui d’une continuation et d’un développement. Aujourd’hui les professeurs de philosophie s’efforcent de tous côtés de remettre sur ses pieds Leibniz avec ses sottises, bien plus, de le glorifier, et de rabaisser d’autre part Kant autant que possible et de le mettre à l’écart ; ils ont, pour le faire, une très bonne raison, celle du primum vivere : la Critique de la raison pure n’admet pas en effet qu’on fasse passer de la mythologie juive pour de la philosophie, ni qu’on parle, sans façons, de l’âme comme d’une réalité donnée, bien connue, bien accréditée, sans rendre compte de la manière dont on est arrivé à ce concept et du droit qu’on a d’en faire un usage scientifique. Mais primum vivere, deinde philosophari ! À bas Kant, et vive notre Leibniz ! — Pour en revenir donc à ce dernier, je ne puis reconnaître à la Théodicée, en tant que large et méthodique exposé de l’optimisme, d’autre mérite que celui d’avoir plus tard fourni au grand Voltaire l’occasion de son immortel Candide ; vérification bien inattendue pour Leibniz de cette excuse boiteuse si souvent invoquée par lui en faveur des maux de ce monde, à savoir que le mal engendre parfois le bien. Par le nom seul de son héros, Voltaire a indiqué qu’il suffit d’être sincère pour convenir du contraire de l’optimisme. En vérité, sur ce théâtre du péché, de la souffrance et de la mort, l’optimisme fait une bien étrange figure ; et c’est pour une ironie qu’il faudrait le prendre, si la source secrète de cette