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tement pour éliminer les enfants engendrés à cet âge, puisque, quelques lignes plus haut, il vient de recommander ce moyen. — De son côté, la nature ne peut pas contester le fait qui sert de fondement aux prescriptions d’Aristote, mais elle ne peut pas non plus le supprimer. Car, selon son propre principe, natura non facit saltus, elle ne pouvait pas suspendre tout d’un coup la sécrétion séminale de l’homme ; mais dans ce cas encore, comme dans celui de tout dépérissement, une détérioration successive devait précéder. Or, pendant toute cette période la génération ne donnerait le jour qu’à des êtres faibles, incomplets, malingres, chétifs et à la vie courte. Oui, le cas n’est que trop fréquent : les enfants engendrés dans un âge avancé meurent presque toujours de bonne heure, n’atteignent en tout cas jamais la vieillesse, restent, plus ou moins, infirmes, maladifs, sans forces, et ceux qu’ils procréent à leur tour ont même constitution. Ce que nous disons ici de la procréation sur le déclin de l’âge vaut ici pour la génération pratiquée avant l’âge mûr. Mais maintenant rien ne tient tant à cœur à la nature que la conservation de l’espèce et de son vrai type ; à cet effet, elle a besoin d’individus bien constitués, solides et vigoureux : ce sont les seuls qu’elle veuille. Oui, elle ne considère et ne traite au fond les individus (nous l’avons montré au ch. xli) que comme des moyens ; l’espèce seule est sa fin. Aussi voyons-nous ici la nature, par une suite de ses propres lois et des fins qu’elle poursuit, tomber dans une situation critique et véritablement placée dans l’embarras. Les expédients violents et subordonnés à la volonté d’autrui lui étaient interdits par son essence même ; elle ne pouvait pas plus se flatter que les hommes, instruits par l’expérience, reconnaîtraient les désavantages d’une génération trop prématurée et trop tardive et réfrèneraient alors leurs appétits, sur de sages réflexions faites de sang-froid. Dans une affaire aussi importante, la nature ne pouvait donc s’en rapporter à ces deux moyens. Il ne lui restait donc plus rien qu’à choisir de deux maux le moindre. Dans cette intention elle devait s’adresser à son instrument favori, à l’instinct. Comme nous l’avons montré dans le précédent chapitre, l’instinct conduit partout l’opération importante de la génération et sait y produire les illusions les plus étranges ; ici encore la nature devait l’attirer dans ses intérêts, et pour y parvenir il n’y avait qu’un moyen, c’était de l’égarer, de « lui donner le change » (sic). La nature en effet ne connaît que le côté physique des choses, elle n’en connaît pas le côté moral : entre elle et la morale il y a même un antagonisme décidé. La conservation de l’individu, et surtout celle de l’espèce, dans l’état de perfection le plus grand possible, est son seul but. Sans doute, même au point de vue physique, la pédérastie est préjudiciable aux jeunes gens qui s’y laissent entraîner