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tructibilité persistante de ce vice témoignent qu’il procède par quelque côté de la nature humaine elle-même ; seule cette raison explique qu’il ne puisse manquer toujours et partout d’apparaître, vraie preuve à l’appui du proverbe :

Naturam expelles furca, tamen usque recurret.

Pour qui procède loyalement, comme nous, il y a complète impossibilité de se soustraire à cette conséquence. Passer par-dessus les faits et nous en tenir au blâme et à l’injure à l’égard de ce vice serait sans doute chose facile. Telle n’est pas toutefois ma manière de me débarrasser des problèmes : fidèle ici encore à ma vocation naturelle, à mon habitude de rechercher partout la vérité et d’aller au fond des choses, je commence par reconnaître le fait à expliquer tel qu’il s’offre à moi, avec les conséquences inévitables qu’il entraîne. Que maintenant une tendance si radicalement contre nature, qu’une tendance qui marche justement à l’encontre de la nature dans son objet le plus important, et quelle ait le plus à cœur de remplir, doive procéder de cette nature même, voilà qui est un paradoxe inouï : l’expliquer semble un problème bien difficile ; je veux pourtant aujourd’hui le résoudre, en découvrant le mystère naturel qui en fait le fond.

Pour point de départ je prends un passage d’Aristote, dans la Polit., VII, 16. — Il y expose, en premier lieu : que des hommes trop jeunes engendrent des enfants mal constitués, faibles, défectueux, et destinés à rester petits ; il poursuit en appliquant la même remarque à la progéniture des hommes trop vieux : τα γαρ των πρεσϐυτερων εκγονα, καθαπερ τα των νεωτερων, ατελη γιγνεται, και τοις σωμασι, και ταις διανοιαις, τα δε των γεγηρακοτων ασθενη (nam, ut juniorum, ita et grandiorum natu fœtus inchoatis atque imperfectis corporibus mentibusque nascuntur : eorum vero, qui senio confecti sunt, suboles infirma et imbecilla est). La règle qu’Aristote pose pour l’individu, Stobée l’institue en loi pour la société, dans la conclusion de son exposé de la philosophie péripatéticienne (Ecl. eth., liv. II, c. vii in fine) : προς την ρωμην των σωματων και τελειοτητα δειν μητε νεωτερων αγαν, μητε πρεσϐυτερων τους γαμους ποιεισθαι, ατελη γαρ γιγνεσθαι, κατ αμφοτερας τας ηλικιας, και τελειως ασθενη τα εκγονα. (oportet, corporum roboris et perfectionis causa, nec juniores justo, nec seniores matrimonio jungi, quia circa utramque ætatem proles fieret imbecillis imperfecta). Aristote prescrit donc à l’homme de ne plus mettre d’enfants au monde après cinquante-quatre ans ; il peut continuer cependant à entretenir commerce avec sa femme, pour raison de santé ou pour tout autre motif. Quant au moyen d’exécuter le précepte, il n’en parle pas : mais son opinion tend manifestement à indiquer l’avor-