Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une violence qui, supérieure à toute autre passion, rend l’homme prêt à tous les sacrifices, et peut le conduire, dans le cas où toute espérance de réalisation lui est irrévocablement défendue, à la démence ou même au suicide. En dehors des considérations mentionnées plus haut, une passion si excessive doit encore reposer sur d’autres considérations inconscientes et qui ne frappent pas tout d’abord notre vue. Nous devons donc admettre qu’il y a non seulement harmonie des qualités physiques, mais encore, entre la volonté de l’homme et l’intellect de la femme, une conformité spéciale, en vertu de laquelle tel individu déterminé, dont le génie de l’espèce se promet l’existence, ne peut naître que d’eux seuls pour des raisons inhérentes à l’essence même de la chose en soi et par là même impénétrables à notre esprit ; ou, pour parler avec plus de précision, le vouloir-vivre aspire ici à s’objectiver dans un individu bien déterminé qui ne peut être engendré que par ce père et cette mère. Cette aspiration métaphysique de la volonté n’a d’autre sphère d’action dans la série des êtres que les cœurs des parents futurs : saisis alors d’une ardente passion, ceux-ci s’imaginent désirer pour leur propre compte ce qui pour le moment n’a qu’un but purement métaphysique, c’est-à-dire placé en dehors de la série des choses réellement existantes. Ainsi donc cette impulsion que subit tout être dès son origine et qui porte vers l’existence l’individu destiné à naître plus tard, c’est elle qui, en apparence, se manifeste par cette passion si vive, si peu soucieuse de tout objet étranger à elle-même qu’éprouvent l’un pour l’autre les futurs parents, et qui, en réalité, n’est qu’une illusion sans pareille, grâce à laquelle l’amant est prêt à abandonner tous les biens du monde pour dormir à côté de cette femme, impuissante à lui procurer plus de jouissance qu’une autre. Et c’est bien à cela que tout se réduit ; la preuve en est que cette grande passion, aussi bien que toutes les autres, s’éteint par la jouissance, à la grande surprise des amants. Elle s’éteint encore quand, par suite de la stérilité de la femme (d’après Huseland, il peut y en avoir dix-neuf causes provenant de défauts de constitution), la vraie fin métaphysique ne peut se réaliser ; ainsi sont étouffés chaque jour des millions de germes, dans lesquels cependant le même principe métaphysique de vie tend à l’existence. Ce qui peut en consoler, c’est la seule pensée que le vouloir-vivre a devant soi une infinité d’espace, de temps, de matière, et par suite d’innombrables occasions de se manifester.

Théophraste Paracelse, sans avoir traité ce thème, et malgré sa manière de voir si étrangère à la mienne, ne laisse pas d’avoir entr’aperçu une fois au moins, ne fût-ce qu’un instant, ce que j’expose ici c’est quand, au milieu d’un développement différent, et avec son habitude de sauter d’un sujet à l’autre, il fait les curieuses