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vement un trait caractéristique de notre espèce. Enfin vient la considération de la beauté des yeux et du front : ces organes ont d’étroits rapports avec les qualités psychiques, et surtout avec les qualités intellectuelles que la mère transmet par hérédité.

Quant aux considérations inconscientes qui dirigent, d’autre part, l’inclination des femmes, nous ne pouvons naturellement pas les indiquer aussi nettement. D’une manière générale, voici ce qu’on peut affirmer les femmes préfèrent les hommes de trente à trente-cinq ans, même aux jeunes gens, en qui seuls cependant réside la beauté humaine dans toute sa perfection. C’est qu’au fond ce n’est pas leur goût qui les guide, mais l’instinct, qui leur fait reconnaître dans les hommes de cet âge la plus grande force génératrice. En général, elles regardent peu à la beauté, surtout à celle du visage : on dirait qu’elles se réservent à elles seules le soin d’en faire don à leur enfant. Ce qui les attire surtout, c’est la force de l’homme, et le courage qui s’y joint naturellement ; ces avantages leur garantissent la procréation d’enfants vigoureux et en même temps leur assurent à elles-mêmes un vaillant protecteur. En ce qui concerne l’enfant, la femme peut, au moment de la conception, réparer l’effet d’un défaut corporel de l’homme, d’une déviation du type, pourvu que, sous ces rapports, elle soit elle-même d’une structure irréprochable, ou qu’elle pèche encore dans le sens opposé. Il faut seulement en excepter les qualités particulières au sexe masculin, et que par suite la mère ne peut donner à l’enfant : par exemple une ossature virile, de larges épaules, des hanches étroites, des jambes droites, la force musculaire, le courage, la barbe, etc. Voilà pourquoi les femmes aiment souvent des hommes laids, mais jamais un homme dépourvu de ces qualités viriles, car elles ne peuvent neutraliser l’effet de leur absence.

La seconde sorte de considérations qui sont le fondement de l’amour concerne les qualités psychiques. Nous verrons ici la femme généralement attirée par les qualités du cœur et du caractère dans l’homme, car l’enfant les tient de son père. C’est principalement la fermeté de la volonté, la décision, le courage, peut-être aussi la loyauté et la bonté du cœur qui captivent la femme. Les qualités intellectuelles au contraire n’exercent sur elles aucun pouvoir direct en vertu de l’instinct, parce que le père n’en est pas la source. Le manque d’intelligence ne fait pas de tort auprès des femmes ; une grande supériorité d’esprit, le génie même, pourraient plutôt leur paraître une anomalie et exciter leur défaveur. Aussi est-ce chose fréquente qu’un homme laid, sot et grossier l’emporte auprès des femmes sur un homme beau, plein d’esprit et aimable. De là parfois ces mariages d’amour entre individus tout à fait hétérogènes sous le rapport de l’intelligence : par exemple, lui,