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son vouloir même reçoit une direction différente, éprouve par là une modification, et, ce qui est l’important, elle est obligée, à cette occasion, de se prononcer encore une fois pour l’affirmation ou la négation de la vie. Ainsi, cette loi naturelle dérivée de la combinaison nécessaire de deux sexes dans l’acte de la génération, cette loi qui associe, dans un alliage toujours changeant, une volonté à un intellect, devient la base d’un ordre de salut. Car, par l’effet de cette loi, la vie ne cesse de présenter à la volonté (dont elle est l’image et le miroir) de nouvelles faces ; elle semble tournoyer sans relâche devant ses yeux ; elle laisse des manières de voir toujours et toujours autres s’essayer sur elle, pour que la volonté à chaque fois se décide à l’affirmation ou à la négation : les deux voies lui restent toujours ouvertes, sauf que, si une fois elle vient à embrasser la négation, le phénomène tout entier cesse d’exister pour elle avec la mort. C’est donc ce renouvellement incessant et ce complet changement de l’intellect qui maintient la voie du salut ouverte à la même volonté, par la nouvelle conception du monde qu’elle en reçoit ; mais l’intellect lui-même vient de la mère : et c’est là peut-être que se trouverait le fondement véritable de cet éloignement, de cette horreur de tous les peuples (à peu d’exceptions près, et ces exceptions mêmes sont incertaines) pour les mariages entre frère et sœur ; par là s’expliquerait aussi qu’il ne naisse pas d’amour sexuel entre les frère et sœur, sauf dans des cas très rares, dus à une perversion contre nature des instincts, sinon à l’illégitimité de l’un des deux enfants. Car d’un mariage entre frère et sœur il ne pourrait sortir rien d’autre qu’une volonté toujours la même unie au même intellect, comme elle l’était déjà dans les parents, et ainsi qu’une répétition sans issue du phénomène déjà existant.

Si maintenant, de près et dans le détail, nous contemplons la diversité incroyable et pourtant frappante des caractères ; si nous voyons celui-ci bon et affable, celui-là méchant et cruel, l’un juste, honnête et sincère, l’autre, gredin incorrigible, plein d’hypocrisie intrigante, d’astuce et de perfidie, il s’ouvre alors devant nous un abîme de considérations, et nous perdons notre temps en vaines réflexions sur l’origine d’une telle diversité. Les Hindous et les Bouddhistes résolvent le problème en disant : « C’est la conséquence des actions de la vie antérieure. » Cette solution est la plus ancienne sans doute, la plus intelligible aussi, et elle est proposée par les plus sages représentants de l’humanité : elle ne fait pourtant que reculer la question. Et cependant on aura peine à en trouver une plus satisfaisante. À mon point de vue, il reste à dire qu’ici, où la volonté vient en discussion comme chose en soi, le principe de raison, en tant que pure forme du phénomène, ne trouve plus aucune appli-