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leurs mérites ne sont pas retenus par l’histoire et ne parviennent pas à la connaissance de la postérité. De plus, en raison de la constitution toujours plus faible du sexe féminin, ces facultés mêmes n’atteignent jamais chez les femmes le degré où elles s’élèvent ensuite chez leurs fils, à la faveur de circonstances favorables ; mais ce n’est là même pour nous qu’un motif de rehausser dans la même proportion le mérite des œuvres qu’elles produisent. Pour l’instant je ne retrouve, à l’appui de la vérité énoncée par nous, que les seuls exemples suivants. Joseph II était fils de Marie-Thérèse. — Cardan nous dit, dans le troisième chapitre du De vita propria : « Mater mea fuit memoria et ingenio pollens. » — J.-J. Rousseau dit, au premier livre des Confessions : « La beauté de ma mère, son esprit, ses talents… ; elle en avait de trop brillants pour son état, etc., » et il continue en citant un couplet des plus gracieux dont elle était l’auteur. — D’Alembert était le fils naturel de Claudine de Tencin, femme d’un esprit supérieur, auteur de plusieurs romans et écrits analogues très applaudis de son temps et dignes aussi d’être goûtés aujourd’hui. (Voir sa biographie dans les Feuilles de conversation littéraire [Blätter für litterarische Unterhaltung, mars 1845, nos 71-73].) — La mère de Buffon fut une femme distinguée, à en croire le passage suivant du Voyage à Montbard par Hérault de Séchelles, que Flourens rapporte, dans son Histoire des travaux de Buffon, page 288 : « Buffon avait ce principe qu’en général les enfants tenaient de leur mère leurs qualités intellectuelles et morales ; et lorsqu’il l’avait développé dans la conversation, il en faisait sur-le-champ l’application à lui-même, en faisant un éloge pompeux de sa mère, qui avait en effet beaucoup d’esprit, des connaissances étendues et une tête très bien organisée. » Joindre aux qualités intellectuelles les qualités morales, c’est une erreur commise par le narrateur ou fondée sur ce que le hasard avait donné à sa mère un caractère identique au sien et à celui de son père. Nous avons du contraire d’innombrables exemples, où la mère et le fils ont un caractère opposé ; aussi, dans Oreste et dans Hamlet, les plus grands poètes dramatiques nous montrent-ils la mère et le fils dans un état d’hostilité et de lutte, où le fils apparaît comme représentant moral et vengeur du père. Le cas inverse, celui du fils représentant moral et vengeur de la mère contre son père, serait au contraire révoltant et en même temps presque ridicule. La raison en est qu’entre le père et le fils il y a identité réelle de l’être par la volonté, et seulement, entre la mère et le fils, pure identité d’intellect, et cela même encore sous condition. Entre la mère et le fils il peut exister le plus grand contraste moral ; entre le père et le fils une opposition intellectuelle est seule possible. C’est à ce point de vue aussi qu’il faut reconnaître la nécessité de la loi