Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tement de l’Aube, la police poursuivait une jeune fille coupable d’avoir assassiné deux enfants, qu’elle devait porter à l’hospice des Enfants trouvés, pour s’approprier le peu d’argent à eux destiné. La police finit par la trouver sur la route de Paris, près de Romilly, noyée, et c’est son propre père qui se livra comme son meurtrier. — Mentionnons enfin ici encore quelques cas de date plus récente, et qui n’ont, en conséquence, d’autres garants que les journaux. Au mois d’octobre 1836, en Hongrie, le comte Belecznai fut condamné à mort, pour avoir tué un fonctionnaire et grièvement blessé ses propres parents ; son frère aîné avait été antérieurement exécuté pour crime de parricide, et son père s’était aussi rendu coupable de meurtre. (Journal la Poste de Francfort, 26 octobre 1836.) Un an plus tard, sur la même route où le comte avait tué le fonctionnaire, son plus jeune frère déchargea, toutefois sans succès, un pistolet sur l’agent du fisc chargé du contrôle de ses biens. (Journal de Francfort, 16 septembre 1837.) Dans la Poste de Francfort du 19 novembre 1857, une lettre de Paris annonce la condamnation d’un brigand très dangereux, nommé Lemaire, et de ses compagnons, et ajoute : « Le penchant au crime semble être héréditaire dans sa famille et celle de ses complices, puisque plusieurs membres de leur race sont morts sur l’échafaud. » — Les annales de la criminalité ne peuvent manquer de présenter mainte généalogie du même genre. C’est surtout le penchant au suicide qui est héréditaire.

Voyons-nous maintenant d’autre part l’excellent Marc-Aurèle avoir pour fils le détestable Commode : le fait ne nous induit pas en erreur, puisque nous savons que la diva Faustina était une uxor infamis. Au contraire, nous notons le cas, pour conjecturer une raison analogue dans des cas du même genre : que, par exemple, Domitien ait été le vrai frère de Titus, c’est ce que je ne puis jamais croire, et j’incline à mettre Vespasien au rang des maris trompés.

Passons maintenant à la seconde partie du principe posé par nous, c’est-à-dire à l’hérédité de l’intellect maternel. Ce second principe est plus généralement reconnu que le premier, qui en soi-même a contre lui le liberum arbitrium indifferentiæ, et dont la conception séparée rencontre un obstacle dans la simplicité et l’indivisibilité de l’âme. Déjà la vieille expression populaire « esprit naturel, esprit de la mère » (Mutterwitz) atteste que l’adhésion donnée à cette seconde vérité date de loin : elle repose sur l’expérience faite que les avantages intellectuels, grands ou petits, sont le don de ceux dont les mères se distinguaient relativement par leur intelligence. Au contraire, les qualités intellectuelles du père ne passent pas au fils ; la preuve en est que les pères comme les fils des hommes remarquables par les talents les plus éminents sont en général des