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homme tient-il de sa mère, par exemple, une raison supérieure, et ainsi la faculté de réfléchir et de méditer ; les passions héritées du père sont alors moitié tenues en bride, moitié refoulées et ramenées par là à une expression régulière et méthodique, ou même cachée, d’où suit une apparence bien différente de celle qu’elles présentaient chez le père, doué peut-être d’un cerveau très borné ; et de même le cas inverse peut se produire. — Les penchants et les passions de la mère ne se retrouvent jamais au contraire dans les enfants, et ce qu’on y observe souvent ce sont les passions opposées.

Les exemples historiques ont sur les exemples privés l’avantage d’être généralement connus, mais par contre, il est vrai, le désavantage des incertitudes, des altérations fréquentes de toute tradition, sans compter le défaut général de ne comprendre que la vie publique et non privée, et ainsi les actions politiques seules, et non les traits plus intimes du caractère. Je veux cependant appuyer la vérité ici en question de quelques exemples historiques. Les gens qui ont fait de l’histoire une étude spéciale pourront sans doute y ajouter encore un nombre bien plus grand de témoignages tout aussi frappants.

On sait que P. Decius Mus, poussé par une générosité héroïque à sacrifier sa vie pour son pays, se précipita, la tête voilée, au milieu de l’armée des Latins, en se vouant lui et les ennemis, par une prière solennelle, aux dieux infernaux. Quarante ans plus tard environ, son fils, du même nom, tint exactement la même conduite, dans la guerre contre les Gaulois (Liv., VIII, 6 ; X, 28) : vraie justification du mot d’Horace : fortes creantur fortibus et bonis, dont Shakespeare exprime ainsi le revers :

Cowards father cowards, and base things sire base[1].
_______________________________(Cymb., IV, 2.)

L’ancienne histoire romaine nous offre des familles entières dont les membres, pendant une longue suite de temps, se sont distingués par un patriotisme et un courage plein d’abnégation : telles furent la gens Fabia et la gens Fabricia. — Dans un genre différent, Alexandre le Grand était amoureux de pouvoir et de conquête, comme son père Philippe. — Il est très digne d’attention, l’arbre généalogique de Néron, que Suétone (ch. iv et v), dans une intention morale, a mis en tête du portrait de ce monstre. Il nous décrit la gens Claudia, cette famille qui, six siècles durant, a fleuri à Rome et n’a cessé de produire des hommes actifs mais orgueilleux et

  1. Les lâches engendrent des lâches, et de la bassesse nait la bassesse.