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comme la croyance la plus solide, et dont l’influence pratique est d’une puissance inimaginable. Elle était de même un élément de la foi égyptienne (Hérodote, II, 123) ; Orphée, Pythagore et Platon l’empruntèrent aux Égyptiens avec enthousiasme, et les pythagoriciens plus que les autres s’y tinrent avec fermeté. Qu’elle ait été aussi enseignée dans les mystères des Grecs, c’est ce qui ressort sans conteste du neuvième livre des Lois de Platon (p. 38 et 42, éd. Bip.). Némésius (De nat. hom., c. II) dit même : Κοινη μεν ουκ παντες Ελληνες, οι την ψυχην αθανατον αποφηναμενοι, την μετενσωματωσιν δογματιζουσι (Communiter ihitur omnes Græci, qui animam immortalem statuerunt, eam de uno corpore in aliud transferri censuerunt). L’Edda aussi, notamment dans la Voluspa, professe la métempsycose. Elle n’était pas moins le fondement de la religion des druides. (Cæs. De bello Gall., VI ; A. Pictet, le Mystère des Bardes de l’île de Bretagne, 1856.) Bien plus, une secte mahométane de l’Hindoustan, les Bohrahs, sur lesquels Colebrooke, dans les Asiat. Res., vol. VII, p. 336 et suiv., nous donne une relation détaillée, admet la métempsycose et s’abstient par conséquent de toute viande comme aliment. Même chez les Américains et chez les peuplades nègres, chez les Australiens même, il s’en trouve des traces, à en croire la description précise donnée par le journal anglais le Times (29 janvier 1841) de l’exécution de deux sauvages australiens condamnés pour incendie et pour meurtre. Voici le passage : « Le plus jeune des deux marchait à son sort d’un cœur endurci et résolu, tout plein, à ce qu’il paraissait, de l’idée de la vengeance : car de la seule expression intelligible qu’il employait il ressortait qu’il renaîtrait sous la forme d’un « gaillard blanc », et c’est cette conviction qui lui inspirait tant de fermeté. » De même, dans un livre d’Ungewitter, l’Australie, 1863, il est raconté que les Papous de la Nouvelle-Hollande tenaient les blancs pour leurs propres parents, déjà revenus sur la terre. De tout ce qui précède il résulte que la croyance à la métempsycose se présente comme la conviction naturelle de l’homme, dès que, sans opinion préconçue, il se prend quelque peu à réfléchir. C’est donc cette croyance, et non pas les trois prétendues idées kantiennes de la raison, qui serait un principe philosophique naturel à la raison humaine et issu de ses propres formes ; et là où elle ne se trouve pas, c’est seulement que des doctrines religieuses différentes et positives l’auraient supplantée. J’ai remarqué aussi de quelle évidence immédiate elle brille à l’esprit de celui qui en entend parler pour la première fois. Il suffit de voir avec quel sérieux Lessing lui-même en prend la défense dans les sept derniers paragraphes de son Éducation de l’humanité. Lichtenberg dit aussi dans son Autobiographie : « Je ne puis m’affranchir de l’idée que j’étais mort avant de naître. » Hume lui--