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l’Allemand Köppen contient encore des notions exactes sur ce sujet. Cependant, pour la grande masse des bouddhistes, cette doctrine est trop subtile ; aussi leur prêche-t-on justement la métempsycose, comme un équivalent plus facile à saisir.

Du reste, nous ne pouvons pas négliger de noter que des raisons même empiriques parlent en faveur d’une régénération de ce genre. En fait il existe une connexion entre la naissance des nouveaux venus dans la vie et la mort de ceux qui la quittent ; cette connexion se manifeste par la grande fécondité de la race humaine qui survient à la suite d’épidémies destructrices. Lorsque, au XIVe siècle, la peste noire eut dépeuplé la plus grande partie du vieux monde, il se produisit ensuite une fécondité tout extraordinaire parmi la race humaine, et les naissances de jumeaux furent très nombreuses ; en outre, fait des plus étranges, aucun des enfants nés alors n’eut sa dentition complète : la nature, obligée de se dépenser en grands efforts, lésinait ainsi sur le détail. Le fait est rapporté dans F. Schnurrer, Chronique des Épidémies, 1825. De même, Casper (De la durée probable de la vie humaine, 1835) confirme le principe que, dans une population donnée, l’influence la plus décisive sur la durée de la vie et la mortalité tient au nombre des naissances, qui marche toujours de pair avec la mortalité ; aussi, en tout temps et en tout lieu, les cas de décès et les naissances augmentent et diminuent dans la même proportion, ce qu’il met hors de doute par une foule de preuves tirées des différents pays et de leurs différentes provinces. Et pourtant il n’est pas possible qu’il existe un lien causal physique entre une mort prématurée pour moi et la fécondité d’un lit nuptial étranger, ou inversement. Ici donc, sans aucun doute et avec toute l’évidence possible, l’idée métaphysique apparaît comme principe immédiat d’explication du fait purement physique. Chaque individu nouveau-né entre, il est vrai, tout frais et tout joyeux dans sa nouvelle existence et en jouit comme d’un présent, mais il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de présent gracieux. Sa fraîche existence est payée par la vieillesse et par la mort d’un être usé qui a péri, mais qui renfermait le germe indestructible d’où est sorti l’être nouveau : les deux existences n’en font qu’une. Montrer le pont qui mène de l’un à l’autre serait certes donner la solution d’une grande énigme.

La vérité ici exprimée n’a jamais non plus été tout à fait méconnue, sans jamais pourtant être ramenée à son sens réel et exact, comme le permettait seule notre théorie de l’essence supérieure et métaphysique de la volonté, de la nature secondaire et purement organique de l’intellect. Nous trouvons en effet la doctrine de la métempsycose, dès les temps les plus antiques et les plus nobles de l’humanité, toujours répandue sur la terre, comme croyance de