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Il est vrai, nous ne pouvons nous représenter tout ce qui précède sans recourir à des notions de temps, et pourtant de telles notions devraient être à jamais exclues là où il s’agit de choses en soi. Mais c’est un effet des bornes immuables de notre intellect qu’il ne puisse dépouiller cette forme, la première, la plus immédiate de toutes ses représentations, pour opérer ensuite sans elle. Nous voilà ainsi amenés, à vrai dire, à une sorte de métempsycose, mais avec cette différence importante que notre métempsycose atteint non pas l’âme (ψυχη) tout entière, c’est-à-dire l’être connaissant, mais la volonté seule, ce qui supprime tant de sottises attachées à la doctrine de la transmigration des âmes. À cette réserve s’ajoute la conscience que la forme du temps n’intervient ici que comme accommodation inévitable à la nature limitée de notre intellect. Si nous nous appuyons maintenant sur le fait (en voir l’explication, chap. xliii) que le caractère, c’est-à-dire la volonté, est un héritage du père, l’intellect au contraire un héritage de la mère, il entre alors très bien dans la suite de notre théorie qu’au moment de la mort la volonté humaine, individuellement et en soi, se séparerait de l’intellect reçu de sa mère lors de la naissance ; conforme alors à sa nature et aux modifications que celle-ci vient de subir, guidée par le cours nécessaire des choses, toujours en harmonie avec sa nature, elle recevrait alors par une nouvelle naissance un nouvel intellect, et formerait avec cet intellect un être qui n’aurait aucun souvenir d’une existence antérieure, puisque l’intellect, seul capable de mémoire, est la partie mortelle ou la forme, la volonté, l’élément éternel ou la substance de notre moi : d’où il résulte que le nom de régénération (palingénésie) convient mieux à cette doctrine que celui de métempsycose. Ces renaissances perpétuelles constitueraient alors la série des rêves de vie d’une volonté en soi indestructible jusqu’au moment où, instruite et perfectionnée par des connaissances si étendues, si diverses, et successivement acquises par elle sous des formes nouvelles, elle en viendrait enfin à se supprimer elle-même.

Avec cette théorie concorde aussi la doctrine propre et, pour ainsi dire, ésotérique du bouddhisme, telle que nous l’ont fait connaître les dernières recherches. Le bouddhisme enseigne, en effet, non pas la métempsycose, mais une régénération toute particulière, fondée sur une base morale, qu’il développe et qu’il présente avec une grande profondeur. On peut s’en convaincre par l’exposition très digne d’attention et d’estime qu’en donne Spence Hardy, dans le Manual of Buddhism, p. 394-396. (cf. p. 429, 440 et 445 du même livre), et par les confirmations qu’en fournissent Taylor, dans le Prabodh Chandro Daya, Londres, 1812, p. 35, Sangermano dans le Burmese empire, p. 6, comme aussi les Asiat. Researches, vol. VI, p. 179, et vol. IX, p. 256. Le très utile Manuel du Bouddhisme de