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parvenus nous l’apprennent) l’élément atteint par la mort est seulement la conscience connaissante ; la volonté au contraire, en tant que chose en soi, en tant que fondement de tout phénomène individuel, est indépendante de tout ce qui repose sur des déterminations temporelles, et par suite est impérissable. Ses efforts pour exister, pour se manifester et produire ainsi le monde ne cessent jamais d’aboutir : le phénomène l’accompagne comme l’ombre suit le corps, et n’est que la forme visible de son être. Et si en nous-mêmes elle redoute pourtant la mort, c’est parce que la connaissance ne lui présente ici sa propre existence que dans le phénomène individuel, d’où naît pour elle l’illusion qu’elle meurt en effet avec lui, à peu près comme mon image semble s’anéantir avec le miroir où elle se reflète, si on vient à le briser ; contraire à cette aspiration aveugle vers l’existence qui constitue sa nature originelle, le fait de la mort la remplit d’horreur. De là suit maintenant que l’élément de notre être seul capable de craindre la mort et seul aussi pénétré de cette crainte, la volonté, n’est pas atteint par la mort ; l’élément qu’elle atteint, au contraire, et qui disparaît réellement, est celui que sa nature rend incapable de crainte, comme en général de volition ou d’émotion, et par là même indifférent à l’être et au non-être : c’est le pur sujet de la connaissance, l’intellect, qui existe tout entier dans ses rapports avec le monde de la représentation, c’est-à-dire avec le monde objectif, dont il est le corrélatif, et dont l’existence ne fait qu’un au fond avec la sienne. Aussi quand même la conscience individuelle ne survit pas à la mort, ce qui y survit, c’est cette partie de nous qui seule se débat contre elle, la volonté. Par là s’explique encore cette contradiction que les philosophes, du point de vue de la connaissance, ont trouvé de tout temps les raisons les plus justes pour démontrer le caractère inoffensif de la mort, et que la crainte de la mort n’est ébranlée néanmoins par aucune de ces raisons ; c’est qu’elle a précisément sa racine non pas dans la connaissance, mais dans la seule volonté. C’est aussi parce que la seule volonté, et non pas l’intellect, est l’élément indestructible de notre être, que toutes les religions et toutes les philosophies décernent pour l’éternité des prix aux seules vertus de la volonté ou du cœur, et non à celles de l’intellect ou de l’esprit.

Encore une remarque qui peut servir à éclairer ces recherches. La volonté, qui constitue notre être en soi, est de nature simple : elle se borne à vouloir et ne connaît pas. Le sujet de la connaissance, au contraire, est un phénomène secondaire, né de l’objectivation de la volonté ; c’est le centre de la sensibilité du système nerveux, c’est comme le foyer où convergent les rayons d’activité de toutes les parties du cerveau. Il doit donc disparaître avec le cerveau. C’est dans la conscience qu’il réside, seul élément capable