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de la mort

fisamment montré, en tant qu’activité cérébrale, et par suite en tant que fonction organique, appartient au simple phénomène, elle finit donc avec lui ; seule la volonté, dont le corps était l’œuvre ou bien plutôt l’image, est indestructible. Distinction rigoureuse de la volonté et de la connaissance, et avec cela suprématie de la première, voilà les caractères essentiels de ma philosophie ; voilà aussi où est la clef de cette contradiction qui s’offre à nous sous des formes diverses, de cette contradiction qui se présente à toute conscience, même à la plus grossière, entre l’idée que la mort est notre fin, et le sentiment que nous devons être pourtant éternels et indestructibles, selon le mot de Spinoza : sentimus experimurque nos æternos esse. Ç’a été l’erreur de tous les philosophes de placer dans l’intellect le principe métaphysique, indestructible et éternel de l’homme : il réside exclusivement dans la volonté, complètement différente de l’intellect et seule primitive. L’intellect est, comme je l’ai établi aussi solidement que possible dans le second livre, un phénomène secondaire qui a ses conditions premières dans le cerveau, et par suite a même commencement, même fin que lui. La volonté seule est un siège de conditions déterminantes, le noyau central du monde des phénomènes ; elle est indépendante, par suite, des formes de ce monde, au nombre desquelles est le temps, et ainsi indestructible. Aussi avec la mort la conscience se perd-elle, mais non pas ce qui produisait et maintenait la conscience : la vie s’éteint, mais sans qu’avec elle s’éteigne le principe de vie, qui se manifestait en elle. Ce n’est donc pas un sentiment trompeur que celui qui affirme à chacun qu’il y a en lui un principe absolument impérissable et indestructible. La fraîcheur même et la vivacité des souvenirs du temps le plus lointain, de notre première enfance, est une preuve de l’existence en nous d’un principe qui ne suit pas le temps dans ses révolutions, mais qui, sans vieillir, subsiste à l’abri du changement. Mais ce qu’est en soi ce principe impérissable, c’est ce qu’on ne pourrait s’expliquer clairement. Ce n’est pas la conscience, pas plus que le corps sur lequel repose évidemment la conscience. C’est bien plutôt le fond sur lequel repose le corps, et la conscience avec lui. Mais qu’est-ce là, sinon précisément ce qui se manifeste comme volonté, en tombant sous la conscience ? Hors de cette manifestation la plus immédiate, nous ne saisissons rien, à vrai dire, car notre connaissance ne dépasse pas la conscience ; aussi, quant à savoir ce que peut bien être ce principe, en tant qu’il ne tombe pas sous la conscience, c’est-à-dire dans son essence intime et absolue, c’est là une question qui doit rester sans réponse.

Dans le monde des phénomènes et grâce à ses formes, le temps et l’espace, envisagés comme principe d’individualité, le lot de l’individu humain semble être la mort ; celui de la race, une durée, une