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de la mort

convient qu’à l’objectif, le subjectif, c’est-à-dire la volonté, vivante et présente en tout, et avec elle le sujet de la connaissance, où se répète le subjectif, ne doivent pas moins être indestructibles. En effet, la persistance de l’élément objectif ou externe ne peut être que le phénomène extérieur de la permanence de l’élément subjectif ou interne, parce que l’objectif ne peut rien posséder dont le subjectif ne l’ait investi, et qu’il ne saurait être au contraire, par essence et à l’origine, un objectif, un phénomène, pour devenir ensuite en second lieu et par accident un principe subjectif, une chose en soi, une conscience de soi. Car, en tant que manifestation, il présuppose évidemment une force qui se manifeste, en tant qu’être existant pour d’autres, un être en soi, en tant qu’objet, un sujet ; mais l’inverse n’est pas concevable : partout la racine des choses doit être située dans ce qu’elles sont pour elles-mêmes, par suite dans le subjectif, et non dans l’objectif, c’est-à-dire dans ce qu’elles sont d’abord pour d’autres, dans une conscience étrangère. Aussi estimions-nous dans notre premier livre que le vrai point de départ d’une philosophie est nécessairement et par essence le point de départ subjectif, c’est-à-dire idéaliste, comme aussi que le point de départ opposé, le point de départ objectif, mène tout droit au matérialisme. — Au fond, nous ne faisons qu’un avec la nature, et cela bien plus que nous n’avons coutume de le penser : son essence intime est notre volonté ; son phénomène, notre représentation. Pour l’homme capable d’arriver à une conscience nette de cette unité d’essence, il n’y aurait plus de différence entre la persistance du monde extérieur, une fois qu’il est mort lui-même, et la continuation de sa propre existence après la mort : les deux phénomènes se présenteraient à son esprit comme une seule et même chose, et il rirait de l’illusion qui pouvait les séparer. Car se rendre compte de l’immortalité de notre être et de l’identité du macrocosme et du microcosme, c’est tout un. En attendant on peut s’expliquer la doctrine ici soutenue par une expérience caractéristique dont l’imagination serait l’agent, et qui se pourrait appeler une expérience métaphysique. Qu’on essaye en effet de se représenter avec force le temps, en tout cas assez peu éloigné, où on ne sera plus. On se figure soi-même disparu et on laisse le monde continuer son existence ; mais on ne tardera pas à découvrir, à son grand étonnement personnel, qu’on ne cessait pas d’y exister ; car on croyait se représenter le monde sans soi ; mais dans la conscience la donnée immédiate, c’est le moi, le moi au travers duquel seul le monde se réfléchit, le moi pour lequel seul le monde existe. Vouloir supprimer ce centre de toute existence, ce germe de toute réalité, en laissant subsister le monde, c’est former une pensée peut-être bien concevable in abstracto, mais en fait irréalisable.