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de la mort

volonté, c’est-à-dire à la servir dans la réalisation de ses fins les plus mesquines.

Mais continuons notre contemplation objective et impartiale de la nature. — Je tue un animal, chien, oiseau, grenouille ou insecte même seulement : n’est-il pas proprement inconcevable que cet être ou plutôt la force originelle, en vertu de laquelle un phénomène si merveilleux apparaissait encore l’instant d’auparavant dans toute son énergie et toute sa vitalité, doive être anéantie par le fait de ma méchanceté ou de mon étourderie ? Et d’autre part ces millions d’animaux de toute sorte, nouveaux venus dans la vie où ils entrent à tout moment en une infinie variété, tous pleins d’activité et de vigueur, est-il possible qu’avant l’acte même de leur procréation ils n’aient jamais rien été, et, sortis du néant, soient parvenus à un commencement absolu ? Si je vois maintenant l’un de ces êtres se dérober ainsi à mes regards, sans jamais apprendre où il va, et l’autre se montrer à mes yeux sans jamais savoir davantage d’où il vient ; si tous deux, de plus, ont même forme, même nature, même caractère, s’ils ne diffèrent que par la matière, qu’ils ne cessent d’ailleurs de rejeter et de renouveler durant toute leur existence, alors l’idée que l’être qui disparaît et celui qui le remplace ne sont qu’un seul et même être, qui a seulement subi une petite transformation, un renouvellement de la forme de son existence, et qu’ainsi la mort pour l’espèce répond au sommeil dans l’individu, cette idée, dis-je, ne se présente-t-elle pas à nous si naturellement, qu’il est impossible de n’y être pas amené, à moins d’avoir l’esprit faussé, dès la plus tendre jeunesse, par l’empreinte de théories erronées et de fuir de loin la vérité avec une crainte superstitieuse ? Soutenir au contraire que la naissance de l’animal est une apparition hors du sein du néant, que sa mort par conséquent est son anéantissement absolu, et ajouter ensuite que l’homme, sorti lui aussi du néant, doit pourtant conserver, et cela sans perdre la conscience, une existence individuelle et indéfinie, tandis que le chien, le singe et l’éléphant seraient réduits à rien par la mort, — c’est émettre une hypothèse contre laquelle le bon sens doit se révolter et qu’il doit déclarer absurde. Si, comme on le répète à satiété, la comparaison des conclusions d’un système avec les décisions du sens commun est une pierre de touche pour la vérité d’une doctrine, je désire alors la voir appliquer une fois ici par les partisans de cette théorie qui, transmise comme un héritage depuis Descartes jusqu’aux éclectiques prédécesseurs de Kant, règne aujourd’hui même encore dans l’esprit d’un grand nombre d’hommes cultivés en Europe.

Partout et toujours le vrai symbole de la nature est le cercle, parce qu’il est le schème du retour : c’est en effet la forme la plus