Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
le monde comme volonté et comme représentation

tout entier, qui sont ses conditions ; c’est qu’il est uniquement une fonction corporelle. Comme le cerveau a acquis tout son développement avec la septième année, les enfants se montrent à cet âge d’une intelligence surprenante, avides de savoir et raisonnables. Mais ensuite vient la puberté ; elle donne au cerveau un point d’appui, et comme une table d’harmonie où il vibre ; d’un coup elle élève l’intellect d’un degré considérable ; si la voix à cet âge s’abaisse d’une octave, l’intellect, si je puis dire, devient d’une octave plus haut. Ce qui atteste encore ce caractère infatigable de la volonté, c’est un défaut plus ou moins commun mais qui existe naturellement chez tous les hommes et dont on ne triomphe que par l’éducation, j’entends la précipitation. Il y a précipitation quand la volonté se met prématurément à sa besogne. La volonté est en effet l’élément purement actif et exécutif, qui ne doit faire son apparition que lorsque l’élément investigateur et délibératif, c’est-à-dire la connaissance, a complètement terminé sa tâche. Mais rarement la volonté attend jusque-là. À peine la connaissance a-t-elle superficiellement rassemblé et fugitivement ordonné quelques rares données sur les circonstances qui nous sollicitent, sur l’événement arrivé, sur l’opinion étrangère qu’on vient de rapporter, voici que des profondeurs de l’âme surgit sans qu’on y ait fait appel la volonté toujours prête, jamais fatiguée ; elle se manifeste sous forme de peur, crainte, espoir, joie, désir, envie, tristesse, empressement, colère, fureur, et nous pousse à des paroles et à des actions trop promptes, bientôt suivies de remords car, avec le temps, nous apprenons que l’Ηγεμονικον, c’est-à-dire l’intellect, n’a pas même pu faire la moitié de sa besogne ; il n’a pas eu le loisir d’étudier les circonstances, d’en examiner le rapport, de délibérer sur ce qu’il convenait de faire, parce que la volonté n’a pas eu la patience d’attendre, parce qu’elle s’est brusquement et prématurément présentée, disant : « mon tour maintenant), et elle est aussitôt entrée en activité, sans que l’intellect lui ait opposé de résistance ; car l’intellect n’est qu’un valet, qu’un serf de la volonté, il n’est pas spontané comme elle et n’éprouve pas par sa propre nature le besoin d’agir. Aussi la volonté s’en débarrasse-t-elle facilement, sur un signe d’elle il se met au repos, tandis que lui-même n’arrive, après des efforts extrêmes, qu’à dicter à la volonté une trêve d’un moment pour prendre à son tour la parole. Aussi sont-ils rares, et ne les trouve-t-on guère que parmi les Espagnols, les Turcs et surtout les Anglais, ceux qui dans les circonstances les plus graves mêmes conservent toujours leur sang-froid, continuent imperturbablement à observer et à examiner la position où ils se trouvent, alors que d’autres eussent perdu la tête et se fussent trouvés incapables de rien voir davantage, cette présence d’esprit ne doit pas