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le monde comme volonté et comme représentation

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et du même coup. En d’autres termes, cette série de notes qui court à l’aventure avant d’atteindre un degré plus ou moins harmonique ne doit y parvenir qu’après un nombre déterminé de mesures, et de plus sur un temps fort, pour y trouver un certain repos ; et de même le retour à la tonique doit s’effectuer après un nombre égal de mesures et toujours sur un temps fort, pour qu’il y ait satisfaction complète. Aussi longtemps que la coïncidence nécessaire entre les satisfactions des deux éléments ne se produit pas, le rythme a beau suivre sa marche régulière, et de leur côté les notes convenables ont beau se présenter et se représenter, nous n’obtiendrons pas l’effet d’où naît la mélodie. Pour plus de clarté, voici un exemple très simple :

La succession harmonique des sons rencontre la tonique dès la fin de la première mesure ; mais elle n’y gagne aucune satisfaction, car le rythme se trouve sur le temps le plus faible. Aussitôt après, dans la deuxième mesure, le rythme est sur le temps voulu ; mais la série des sons est arrivée à la septième. Il y a donc là plein désaccord entre les deux éléments de la mélodie, et nous ressentons quelque inquiétude. Dans la seconde moitié de la période, c’est tout le contraire, et sur le dernier son se produit la réconciliation des deux éléments. Les mêmes phénomènes se passent dans toute mélodie, mais le plus souvent sur une bien plus grande échelle. Ce désaccord et ce rapprochement constants des deux éléments sont, au point de vue métaphysique, l’image de la naissance de nouveaux souhaits suivis de réalisation. De là ce charme par lequel la musique pénètre si bien dans notre cœur, en faisant briller sans cesse à nos yeux la satisfaction parfaite de nos désirs. À y regarder de plus près, nous découvrons dans ce processus de la mélodie une condition en quelque sorte intérieure, l’harmonie, qui se rencontre comme par hasard avec une condition extérieure, le rythme. Sans doute, ce hasard est provoqué par le compositeur et ressemble en ce sens à la rime de la poésie. Mais nous n’en trouvons pas moins là l’image du concours de nos vœux avec les circonstances extérieures, favorables et indépendantes de nos désirs, c’est-à-dire l’image du bonheur. — La suspension mérite encore de nous arrêter un moment. C’est une dissonance qui veut tromper notre attente confiante et reculer la consonance finale ; nous ne l’en appelons qu’avec plus d’ardeur et son apparition ne nous en cause que plus de plaisir, analogue évident de la satisfaction du vouloir que les retards