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de la métaphysique et de la musique

sibitité exaltée, accessible à l’impression la plus légère, capable de se laisser déterminer par elle, c’est-à-dire le représentant de la conscience portée à son degré extrême, au sommet de l’échelle des êtres. Les raisons inverses lui donnent pour opposé la basse ; lente à se mouvoir, condamnée à ne monter et à ne descendre que par grands intervalles, tierces, quartes et quintes, guidée en outre dans chacun de ses pas par des règles invariables, la basse est le représentant naturel du règne inorganique, insensible, fermé aux impressions délicates, soumis seulement à des lois générales. La basse ne peut jamais même monter d’un seul ton, par exemple de la quarte à la quinte ; ce serait provoquer une suite fâcheuse de quintes et d’octaves dans les voix supérieures : aussi sa nature propre et son origine lui défendent-elles de se charger du chant. Si la mélodie lui est attribuée, on use du contrepoint ; c’est alors une basse transposée, on abaisse l’une des voix supérieures pour la déguiser en basse ; mais même alors il faut une seconde basse profonde pour l’accompagner. Cette étrangeté d’une mélodie confiée à la basse fait que les airs de basse, avec plein accompagnement, ne nous procurent jamais le même plaisir pur et sans mélange qu’un air de soprano ; dans la suite de l’harmonie, le chant de soprano est seul naturel. Pour le dire en passant, une basse contrainte ainsi par transposition de chanter la mélodie pourrait être comparée, dans l’esprit de notre métaphysique de la musique, à un bloc de marbre auquel on a imposé la forme humaine : aussi rien ne pouvait-il mieux convenir à l’hôte de pierre du Don Juan.

Pour pénétrer maintenant plus avant encore dans la genèse de la mélodie, nous devons la décomposer en ses éléments. Nous y trouverons tout au moins le plaisir que l’on éprouve à acquérir une conscience abstraite et expresse des choses connues de tous in concreto, et à leur donner ainsi l’apparence de la nouveauté.

La mélodie est formée de deux éléments, l’un rythmique et l’autre harmonique ; on peut les appeler aussi l’élément quantitatif et l’élément qualitatif, puisque le premier concerne la durée et le second la hauteur et la gravité des sons. Dans la notation musicale, le premier se reconnaît aux lignes verticales, le second aux lignes horizontales. Tous deux reposent sur des rapports purement arithmétiques, c’est-à-dire sur des rapports de temps, l’un sur la durée des sons, l’autre sur la rapidité relative de leurs vibrations. L’élément rythmique est le plus essentiel, car, à lui seul et sans le secours de l’autre, il suffit à figurer une sorte de mélodie : c’est le cas, par exemple, pour le tambour ; mais la mélodie parfaite a besoin des deux. Elle consiste en effet dans des alternatives de désaccord et de réconciliation entre les deux, je le démontrerai tout à l’heure ; mais, puisqu’il a été déjà question jusqu’ici de l’élément