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le monde comme volonté et comme représentation

et la plus naturelle, de façon à les exprimer ouvertement par l’œuvre même. Elle acquiert ainsi une certaine grâce analogue à celle qui consiste, chez les êtres vivants, dans l’aisance et dans la convenance à sa fin de tout mouvement et de toute attitude. Aussi voyons-nous, dans le bon style antique, chaque partie, pilier, colonne, arcade, entablement ou porte, fenêtre, escalier, balcon, atteindre son but de la façon la plus directe et la plus simple, en le révélant avec une franche naïveté, comme fait dans ses œuvres la nature organique. Le manque de goût au contraire se traduit par la recherche constante de détours inutiles, de fantaisies capricieuses ; il prend plaisir par exemple à des entablements coupés sans raison, rentrants et saillants, à des groupements de colonnes, à des corniches morcelées aux arceaux des portes et aux frontons, à des volutes, à des enjolivements sans aucun sens, etc. ; il joue, ainsi que nous l’avons dit de tout mauvais travail artistique, avec les ressources de l’art, sans en comprendre les fins, comme les enfants jouent avec les outils des grandes personnes. Dans ce genre rentrent déjà toute rupture d’une ligne droite, tout changement dans la direction naturelle d’une courbe, quand aucune nécessité évidente ne les justifie. C’est au contraire cette naïve simplicité dans la manifestation et dans la réalisation de la fin, si conforme à l’esprit des œuvres et des créations de la nature, qui prête aux poteries antiques une beauté et une grâce dont nous ne cessons de nous étonner, tant elles contrastent par leur noblesse avec nos vases modernes à prétention originale, qui, faits de porcelaine ou d’argile grossière, portent tous le cachet de la vulgarité. À la vue des ustensiles et des vases des anciens nous sentons que, si la nature avait voulu produire les mêmes objets, elle leur aurait donné les mêmes formes. — Puisque la principale beauté en architecture résulte pour moi de la franche exposition du but et de la réalisation des fins par la voie la plus courte et la plus naturelle, ma théorie est en contradiction directe avec celle de Kant, qui place l’essence du beau en général dans une apparente finalité sans but.

Le thème unique de l’architecture, tel que nous l’avons indiqué, à savoir la charge et le support, est si simple que cet art, en tant que l’un des beaux-arts, non à titre d’art utile, a, dès la bonne époque grecque, atteint la perfection entière et absolue dans ses parties essentielles, ou du moins n’est plus capable d’aucun enrichissement considérable. L’architecte moderne au contraire ne peut pas s’éloigner sensiblement des préceptes et des modèles des anciens sans risquer de faire fausse route. Il ne lui reste donc qu’à suivre la tradition de l’art antique et à en observer les règles, dans la mesure des restrictions inévitables imposées par la nécessité, le climat, le temps et le pays. Car en architecture, comme