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CHAPITRE XXXV[1]
L’ESTHÉTIQUE DE L’ARCHITECTURE


Nous avons établi, dans le corps du premier volume, que l’élément esthétique de l’architecture provenait des degrés les plus bas de l’objectivation de la volonté ou de la nature, dont elle veut reproduire par une image précise les idées. Il en résulte qu’elle a pour thème unique et constant le support et la charge, et pour loi fondamentale qu’aucune charge ne doit exister sans un support suffisant, aucun support sans la charge voulue, et qu’ainsi il doit y avoir convenance dans le rapport de l’un à l’autre. La réalisation la plus pure de cet objet, c’est la colonne et l’entablement ; aussi l’emploi des colonnes est-il devenu comme la base générale de toute l’architecture. En effet, dans la colonne et l’entablement, le support et la charge sont parfaitement séparés, ce qui en fait ressortir manifestement l’action réciproque et le rapport. Sans doute le simple mur même contient déjà le support et la charge, mais ici il y a encore confusion des deux. Tout y est support et tout y est charge : de là absence complète d’effet esthétique. L’effet n’apparaît qu’avec la distinction des deux éléments et grandit avec elle. Car entre la colonnade et le simple mur il y a une foule de degrés intermédiaires. Déjà même, dans la muraille de maison percée de fenêtres et de portes, on cherche à indiquer tout au moins cette séparation par des pilastres légèrement saillants (antes) surmontés de chapiteaux, qu’on enchâsse dans les chambranles, ou qu’au besoin on se borne à représenter en peinture, pour dessiner de quelque manière un système de colonnes avec entablement. Les piliers réels, de même les consoles et les supports de tout genre, réalisent déjà mieux cette séparation distincte du support et de la charge à laquelle tend partout l’architecture. Sous ce rapport, à côté de la colonne avec entablement se place immédiatement la voûte avec pilier, construction d’ailleurs toute originale, et qui n’imite pas la première. L’effet esthétique qu’elle produit est bien loin cependant d’atteindre celui de la colonne, parce que le support et la charge, au lieu d’être entièrement séparés, s’y confondent encore en passant de l’un à l’autre. Dans la voûte même, chaque pierre est à la fois charge

  1. Ce chapitre se rapport au § 43 du premier volume.