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le monde comme volonté et comme représentation

dernier mot. Il n’est pas jusqu’à l’écrivain pour qui ce ne soit une nécessité de laisser quelque chose à penser au lecteur ; car, Voltaire l’a dit très justement : « Le secret d’être ennuyeux, c’est de tout dire. » Ajoutons que ce qu’il y a de meilleur dans l’art est trop spirituel pour être livré directement aux sens : c’est à l’imagination à le mettre au jour, quoique l’œuvre d’art doive l’engendrer. Voilà pourquoi souvent les esquisses des grands maîtres font plus d’effet que leurs tableaux achevés ; ce qui y contribue sans doute encore, c’est qu’elles naissent entières d’un seul jet, au moment de la conception, tandis que le tableau parfait, sorti d’une inspiration qui ne peut se maintenir jusqu’à son achèvement, ne peut être exécuté qu’au prix d’un effort soutenu, d’une réflexion toujours prudente et d’une constante tension de la volonté. — Cette loi esthétique ici en question nous explique encore pourquoi les figures de cire, imitation d’ailleurs parfaite de la nature, ne produisent jamais aucun effet esthétique et, par conséquent, ne sont pas des œuvres d’art véritables. C’est qu’elles ne laissent rien à faire à l’imagination. La sculpture, en effet, ne donne que la forme, mais non la couleur ; la peinture donne la couleur, mais la simple apparence de la forme : toutes deux ont ainsi recours à l’imagination du spectateur. La figure de cire au contraire donne tout, couleur et forme à la fois ; il en résulte l’apparence de la réalité, et l’imagination ne trouve plus ici place. — La poésie au contraire ne s’adresse qu’à la seule imagination, qu’elle met en activité par le moyen de simples mots.

Le caractère principal de la maladresse inintelligente en chaque art consiste à jouer arbitrairement avec les ressources de cet art, sans aucun but véritable et précis. On peut le constater dans ces supports qui ne soutiennent rien, dans ces volutes inutiles, dans ces renflements et dans ces saillies où se complaît la mauvaise architecture, dans ces roulades et ces fioritures, dans ce vacarme sans aucun sens de la mauvaise musique, dans ce cliquetis de rimes des poésies pauvres en idées, etc.

Il résulte des chapitres précédents et de toute ma théorie de l’art que l’art a pour but d’aider à la connaissance des Idées du monde (au sens platonicien, le seul que je reconnaisse au mot Idée). Or les Idées sont essentiellement un objet d’intuition, et par là inépuisables dans leurs déterminations plus intimes. Pour les communiquer, il faut prendre alors la voie intuitive, qui est celle de l’art. Tout homme qui est plein de la conception d’une idée et veut la communiquer est donc autorisé à choisir l’art comme intermédiaire. — Le simple concept au contraire est chose que la pensée suffit pleinement à saisir, à déterminer, à épuiser, et dont tout le contenu se peut froidement et sèchement exprimer par des mots. Vouloir l’ex-