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le monde comme volonté et comme représentation

monde, en effet, qui, après avoir proclamé bien haut les couronnes réservées au mérite, les pose sur le front de ceux qui se font les instruments de ses vues les plus basses ou qui s’entendent à le tromper. — De même donc qu’il y a une simple beauté de jeunesse, possédée un moment par chacun, la « beauté du diable » (sic), de même il y a aussi une pure intellectualité de jeunesse, une certaine nature spirituelle, désireuse et capable de saisir, de comprendre, d’apprendre, possédée par tous pendant l’enfance, par quelques-uns encore pendant la jeunesse, et qui se perd ensuite comme cette beauté. C’est seulement chez quelques exceptions des plus rares, chez quelques élus, que l’une, comme l’autre, peut persévérer durant toute la vie, de manière que quelques traces en restent encore visibles même dans l’âge le plus avancé : ces exceptions, ce sont les hommes vraiment beaux, ce sont les vrais génies.

Ce que nous avons dit ici de la prédominance du système nerveux cérébral et de l’intelligence pendant l’enfance, et de leur décroissance dans l’âge mûr, trouve une explication et une confirmation importantes chez le genre animal le plus voisin de l’homme, chez le singe : le même rapport s’y manifeste à un degré frappant. On est arrivé peu à peu à se convaincre que l’orang-outang, ce singe si intelligent, est un jeune pongo qui, parvenu à l’âge adulte, perd à la fois sa grande ressemblance de visage avec l’homme et son intelligence surprenante : la partie inférieure et bestiale de la face grossit alors, le front devient plus fuyant, de grandes crêtes, nécessaires à l’attache des muscles, donnent au crâne une forme animale, l’activité du système nerveux s’affaiblit, et à sa place se développe une force musculaire extraordinaire, qui, suffisant à ses besoins, rend désormais superflue cette grande intelligence. Les remarques les plus importantes à cet égard sont celles de Frédéric Cuvier, commentées par Flourens dans un compte rendu de l’histoire naturelle de Cuvier qui se trouve dans le cahier de septembre du Journal des savants de 1839, et a été imprimé à part, avec quelques additions, sous ce titre : Résumé analytique des observations de Fr. Cuvier sur l’instinct et l’intelligence des animaux, par Flourens, 1841. On y lit, page 50 : « L’intelligence de l’orang-outang, cette intelligence si développée, et développée de si bonne heure, décroît avec l’âge. L’orang-outang, lorsqu’il est jeune, nous étonne par sa pénétration, par sa ruse, par son adresse ; l’orang-outang devenu adulte, n’est plus qu’un animal grossier, brutal, intraitable. Et il en est de tous les singes comme de l’orang-outang. Dans tous, l’intelligence décroît à mesure que les forces s’accroissent. L’animal qui a le plus d’intelligence n’a toute cette intelligence que dans le jeune âge. » — Plus loin, page 87 : « Les singes de tous les genres offrent ce rapport inverse de l’âge et de