Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
le monde comme volonté et comme représentation

faite opposition avec lui et à mener franchement sur l’organisme sa vie de parasite, solitaire, énergique et indépendant. Sans doute il ne tardera pas à exercer ainsi une influence fâcheuse sur le reste de l’organisme, et il l’usera avant le temps par l’excès de son incessante activité, si cet organisme ne possède pas lui-même une puissante vitalité et une forte constitution ; ce qui fait une nouvelle condition à ajouter aux précédentes. Il faut encore un bon estomac, vu l’union étroite et toute spéciale de cet organe et du cerveau. Mais surtout le cerveau doit avoir un développement et des dimensions extraordinaires, principalement en largeur et en hauteur : la profondeur au contraire sera moindre et le grand cerveau devra l’emporter démesurément sur le cervelet. La disposition du cerveau dans son ensemble et dans ses parties a, sans aucun doute, une très grande importance ; mais nos connaissances actuelles ne nous permettent pas de la déterminer exactement, si facile qu’il nous soit de reconnaître une forme de crâne qui annonce une haute et noble intelligence. Le tissu de la masse cérébrale doit être de la perfection et de la finesse la plus grande, et se composer de la substance nerveuse la plus pure, la plus choisie, la plus tendre et la plus irritable ; le rapport quantitatif de la substance blanche à la substance grise exerce certainement aussi une influence marquée, mais nous sommes encore incapables d’en préciser la nature. Cependant le compte rendu de l’autopsie du cadavre de Byron[1] affirme chez lui une proportion extraordinaire de la matière blanche à la matière grise ; de même il y est dit que son cerveau pesait 6 livres. Celui de Cuvier en pesait 5 ; le poids normal est de 3 livres. — Au développement du cerveau doit correspondre une extrême ténuité de la moelle épinière et des nerfs. Un crâne bien arqué, haut et large, d’une masse osseuse assez ténue, doit protéger le cerveau, sans le comprimer en aucune manière. Toute cette constitution du cerveau et du système nerveux est l’héritage venant de la mère ; nous reviendrons sur ce point au livre suivant. Mais elle est tout à fait insuffisante à produire le phénomène du génie, s’il ne vient pas s’y joindre, comme héritage du père, un tempérament vif et passionné, qui se traduit physiquement par une énergie peu ordinaire du cœur et par suite de la circulation, surtout vers la tête. En effet, cette énergie sert tout d’abord à accroître la turgescence propre au cerveau ; le cerveau presse ainsi contre ses parois et tend à s’échapper par toute ouverture due à une lésion. En outre cette force convenable du cœur communique au cerveau, avec ce mouvement constant de soulèvement et d’abaissement qui accompagne la respiration, un mouvement tout nou-

  1. Cf. Medwin’s Conversations of L. Byron, p. 333.