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de l’instinct en général est de l’instinct d’industrie

la même impulsion que les fonctions physiologiques intimes, fondées sur de simples excitations, c’est-à-dire relèvent du système ganglionnaire. De là chez eux la prédominance de ce système : le tronc nerveux principal court chez eux tout le long de l’abdomen, sous forme de deux cordons qui donnent à chaque anneau un ganglion, de dimension souvent peu inférieure au cerveau, et sont, plutôt, d’après Cuvier, l’analogue du grand nerf sympathique que de la moelle épinière. Il existe donc entre la détermination par l’instinct et par de simples motifs un certain antagonisme, qui fait que la première atteint son maximum chez les insectes, et la seconde chez l’homme ; entre les deux se déroule la série actuelle des autres animaux, placés à leurs différents degrés selon le développement respectif de leurs systèmes cérébral et ganglionnaire. Puisque les actes instinctifs et les travaux artistiques des insectes sont régis surtout par le système ganglionnaire, c’est se condamner à l’absurdité que de vouloir les considérer et les expliquer comme dérivant du seul cerveau, car c’est prétendre les pénétrer avec une clef qui n’est pas la bonne. La même particularité donne à de telles actions une ressemblance significative avec celles des somnambules, qu’on explique aussi par la substitution du nerf sympathique au cerveau dans la direction des actes extérieurs : les insectes sont ainsi, en quelque sorte, des somnambules naturels. L’analogie sert à rendre compréhensibles les choses sur lesquelles nous ne pouvons avoir de prise directe : celle que nous venons de mentionner nous rendra à un haut degré le même service. Rappelons-nous ce cas cité par Kieser, dans son Tellurisme (vol. II, p. 250). Une somnambule, à laquelle le magnétiseur avait commandé d’accomplir telle action déterminée dans l’état de veille, ne manqua pas de l’exécuter dès son réveil, sans pouvoir se souvenir clairement de l’ordre qu’elle avait reçu. Il lui semblait donc qu’elle devait accomplir cette action, sans en connaître la véritable raison. L’analogie est évidemment frappante entre ce cas et celui des instincts d’industrie chez les insectes : la jeune araignée a l’idée qu’elle doit filer sa toile sans en savoir, sans en comprendre le but. Cela nous remet encore en mémoire le démon de Socrate, qui lui inspirait le sentiment de devoir s’abstenir d’une action qu’on réclamait de lui ou qu’on lui conseillait ; quant à la raison du fait, il l’ignorait, pour avoir perdu le souvenir du songe prophétique qu’il avait eu à ce sujet. De nos jours encore on a constaté des cas du même genre ; je ne veux en citer que quelques-uns. Un homme avait retenu sa place sur un vaisseau : au moment où le navire doit mettre à la voile, il refuse à tout prix, et sans aucune raison expresse, de monter à bord : le navire sombra. Un autre s’en va, avec des camarades, du côté d’une poudrière ; arrivé dans le voisinage, il ne veut pas aller