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CHAPITRE XIX[1]
DU PRIMAT DE LA VOLONTÉ DANS LA CONSCIENCE DE NOUS-MÊMES.

La volonté, comme chose en soi, constitue l’essence intime, vraie et indestructible de l’homme ; mais en elle-même elle est sans conscience. Car la conscience est déterminée par l’intellect qui n’est qu’un simple accident de notre essence : l’intellect est en effet une fonction du cerveau, et celui-ci avec les nerfs ambiants et la moelle épinière n’est qu’un fruit, qu’un produit, je dirai même un parasite du reste de l’organisme, puisqu’il ne s’engrène pas directement dans les rouages intimes de cet organisme et ne sert à la conservation du moi que parce qu’il en règle les rapports avec le monde extérieur. Au contraire, l’organisme lui-même est la volonté individuelle devenue visible, objectivée ; il est l’image de cette volonté telle qu’elle se dessine dans le cerveau (lequel, comme nous l’avons vu au premier livre, est la condition du monde objectif, en tant que tel) par conséquent il est conditionné par les formes de connaissance de ce cerveau, par l’espace, le temps et la causalité il se présente comme une chose étendue, se manifestant par des actes successifs, matérielle, c’est-à-dire agissante. L’impression directe de nos membres et l’intuition sensible que nous en avons n’a lieu que dans le cerveau. En conséquence, on peut dire : l’intellect est le phénomène secondaire, l’organisme le phénomène, primaire, à savoir le phénomène immédiat de la volonté ; la volonté est métaphysique, l’intellect physique ; l’intellect est, tout comme ses objets, un pur phénomène, la volonté seule est chose en soi, — nous pouvons dire encore en termes plus métaphoriques, et symboliques en quelque sorte : — la volonté est la substance de l’homme, l’intellect en est l’accident ; la volonté est la matière, l’intellect la forme ; la volonté est la chaleur, l’intellect la lumière.

À l’appui de cette thèse, et pour mieux la mettre en évidence, nous citerons, comme autant de documents, plusieurs faits d’ordre psychologique. Nous espérons même que cette revue fournira beaucoup plus d’éléments à la science de l’homme intérieur qu’on n’en saurait trouver dans des psychologies systématiques.

I. — Tout comme la conscience d’autre chose, c’est-à-dire la per-

  1. Ce chapitre se rapporte au § 19 du premier volume.