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CHAPITRE XXVII
DE L’INSTINCT EN GÉNÉRAL ET DE L’INSTINCT D’INDUSTRIE


Il semble que la nature ait voulu, par les instincts industriels des animaux, mettre un commentaire explicatif dans la main de l’observateur qui étudie les causes finales d’après lesquelles elle procède, et l’admirable convenance qui en résulte dans ses productions organiques. Car ces instincts sont la preuve la plus claire que des êtres peuvent, avec la détermination la plus décidée, travailler à une fin qu’ils ne connaissent pas, et dont ils n’ont même aucune représentation. Tels sont par exemple le nid de l’oiseau, la toile de l’araignée, la fosse du fourmilion, la ruche si artistique des abeilles, la merveilleuse demeure des termites, etc., du moins pour ceux de ces animaux qui exécutent un tel travail pour la première fois, alors qu’ils ignorent et la forme et l’usage de l’œuvre à accomplir. C’est de même que procède la nature dans la création des organismes ; aussi ai-je donné, dans le chapitre précédent, cette définition paradoxale de la cause finale, qu’elle est un motif qui agit sans être connu. Et de même que, dans l’action issue de l’instinct d’industrie, l’élément actif est manifestement et incontestablement la volonté ; de même c’est elle encore qui agit quand la nature produit des organismes.

On pourrait dire que la volonté des êtres animés est mise en mouvement de deux manières différentes, par l’influence des motifs ou par l’instinct ; donc du dehors ou du dedans, par une occasion extérieure ou par une impulsion intérieure ; la première explicable, puisqu’elle se présente à l’extérieur, la seconde inexplicable, puisqu’elle est tout intérieure. Mais, à y regarder de plus près, l’opposition entre les deux n’est pas aussi tranchée et elle revient même au fond à une différence de degré. Le motif, en effet, n’agit aussi que sous la condition préalable d’une impulsion intime, c’est-à-dire d’une qualité précise de la volonté, qu’on en appelle le caractère : chaque fois, le motif ne fait que donner à ce caractère une direction déterminée, et l’individualise pour le cas concret. De même l’instinct, tout en étant une impulsion nettement marquée de la volonté, ne borne pas son action, comme celle d’un ressort, à l’intérieur ; il attend encore quelque circonstance extérieure nécessaire, destinée au moins à déterminer le moment précis de sa