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le monde comme volonté et comme représentation

Saint-Hilaire, dans les dernières années de sa vie, sur la constitution exacte de l’appareil d’allaitement des cétacés. En effet, l’acte de téter demande le concours actif de la respiration ; il ne peut donc avoir lieu que dans un milieu respirable lui-même et non sous l’eau, dans laquelle est plongé pourtant le nourrisson pendu aux mamelles de la mère ; pour obvier à cet inconvénient, l’appareil mammaire des cétacés a été modifié dans son ensemble de façon à devenir un organe d’injection, qui, introduit dans la bouche du petit, lui envoie le lait, sans qu’il ait besoin d’aspirer. Quand, au contraire, l’individu destiné à prêter à un autre un secours essentiel est de genre très différent, et appartient même à un autre règne de la nature, on met alors en doute cette finalité extérieure, comme dans le cas de la nature inorganique, à moins qu’elle ne serve de fondement manifeste à la conservation des espèces. Tel est le cas pour beaucoup de plantes, dont la fécondation ne se produit que par l’intermédiaire d’insectes, qui transportent le pollen sur le stigmate, ou courbent les étamines vers le pistil : l’épine-vinette commune, beaucoup d’espèces d’iris et l’Aristolochia Clematitis ne peuvent se féconder sans le secours des insectes. (Chr. Conr. Sprengel, Mystère dévoilé, etc., 1753 ; Wildenow, Abrégé de Botanique, p. 353.) C’est encore le cas de nombreuses diœcies, monœcies et polygamies, par exemple des concombres et des melons. Dans la Physiologie de Burdach (vol. I, § 263) on trouve un exposé admirable de cet appui réciproque que reçoivent l’un de l’autre le monde des plantes et celui des insectes. Burdach ajoute ensuite très bien : « Ce n’est pas là un expédient mécanique, un recours forcé, comme si la nature avait commis hier, dans la formation des plantes, une erreur qu’elle chercherait aujourd’hui à réparer par le moyen de l’insecte ; c’est bien plutôt une profonde et intime sympathie du monde végétal pour le monde animal. L’identité des deux règnes doit se manifester : enfants d’une même mère, ils doivent exister l’un avec l’autre et l’un par l’autre. » — Et plus loin : « Mais une sympathie de ce genre unit le monde inorganique au monde organisé, » etc. — Au second volume de leur Introduction into Entomology, Kirby et Spence donnent encore une preuve à l’appui de ce consensus naturæ : les œufs des insectes qui passent l’hiver adhérents aux branches des arbres qui servent d’aliment à leur larve éclosent juste au moment où la branche bourgeonne ; ainsi par exemple l’aphis du bouleau éclot un mois plus tôt que celui du frêne ; pareillement les insectes des plantes vivaces passent l’hiver sur elles à l’état d’œufs ; ceux des plantes seulement annuelles, qui ne peuvent en faire de même, passent l’hiver sous forme de chrysalides.

Trois grands hommes ont totalement repoussé la téléologie ou