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de la téléologie

l’action ne s’exerce ici qu’à distance ; de près elle disparaît, pour faire place à la cause efficiente de l’apparence ; et pourtant les formes existent bien dans la réalité, ne sont pas une simple création de notre fantaisie. Il en est à peu près de même des causes finales dans la nature inorganique, quand les causes efficientes apparaissent. Un homme dont le regard s’étendrait au loin sur les choses avouerait même peut-être qu’il n’en est pas autrement des présages, des « Omina ».

Si d’ailleurs quelqu’un voulait abuser de la finalité extérieure, toujours douteuse, nous l’avons dit, pour l’appliquer à des démonstrations physico-théologiques, comme on le fait encore de nos jours, mais seulement, nous l’espérons, en Angleterre, il existe en ce genre assez d’exemples in contrarium, assez d’ « atéléologies » pour déconcerter un pareil esprit. Un des exemples les plus décisifs nous est fourni par l’eau de mer ; cette eau n’est pas potable, de sorte que l’homme n’est jamais plus exposé au danger de périr par la soif que lorsqu’il se trouve au milieu des grandes masses liquides de sa planète. « À quelle fin l’eau de mer est-elle donc salée ? » C’est la question qu’il faudrait poser à notre Anglais.

Si dans la nature inorganique les causes finales s’effacent au second plan, de sorte qu’elles ne suffisent plus à elles seules à expliquer un fait donné et que nous réclamons absolument les causes efficientes, c’est que la volonté objectivée aussi dans la nature inorganique n’y apparaît plus dans les individus qui forment un tout complet, mais dans les forces naturelles et dans leur activité, il en résulte que le moyen et la fin s’écartent ici trop l’un de l’autre pour qu’on en puisse saisir le rapport et qu’on y puisse reconnaître une manifestation de la volonté. Le phénomène se produit même déjà, à un certain degré, dans la nature organique, là où la finalité est extérieure, c’est-à-dire où la fin réside dans un individu et le moyen dans un autre. Mais ici elle demeure encore incontestable, tant que les deux individus appartiennent à la même espèce, elle n’en devient même que plus frappante. Dans ce genre rentre tout d’abord la conformation des organes génitaux chez les deux sexes, calculés en vue d’une appropriation réciproque, puis certaines conditions qui favorisent l’accouplement : par exemple, chez la Lampyris noctiluca (ver luisant), le mâle, qui ne brille pas, possède seul des ailes pour pouvoir chercher la femelle, la femelle, au contraire, dépourvue d’ailes, et qui ne sort que la nuit, répand une lueur phosphorescente qui permet au mâle de la trouver. Chez la Lampyris italica, les individus des deux sexes sont luisants, fait dû sans doute au luxe de la nature méridionale. Mais un exemple surprenant et tout spécial du genre de finalité ici en question nous est fourni par la belle découverte que fit Geoffroy