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de la téléologie

qualitas occulta, et ne peut ainsi nous donner qu’une explication relative ; tandis que la cause finale, dans son domaine, nous fournit une explication suffisante et complète. Nous ne sommes, à la vérité, entièrement satisfaits que par la connaissance à la fois simultanée et particulière des deux causes, la cause efficiente, nommée encore par Aristote η αιτια εξ αναγκης, et la cause finale, η χαριν του βελτιονος ; nous sommes alors surpris de cette rencontre, de ce merveilleux concours qui nous présente la perfection comme une nécessité absolue, et la nécessité par contre, comme si elle n’était que la perfection extrême et nullement la nécessité : car alors naît en nous le pressentiment que ces deux causes, en dépit de leur origine différente, pourraient bien se rattacher par la racine, dans l’essence des choses en soi. Mais il n’est donné que rarement d’atteindre à cette double connaissance : dans la nature organisée, parce que la cause efficiente est souvent ignorée de nous ; dans la nature inorganique, parce que la cause finale y demeure problématique. Je veux cependant en donner quelques exemples, aussi bons que je puis les trouver dans le domaine de mes connaissances physiologiques ; aux physiologistes ensuite de leur en substituer d’autres plus précis et plus frappants. Le pou du nègre est noir. Cause finale : sa sécurité. Cause efficiente : il se nourrit du tissu de Malpighi, noir chez le nègre. — Le plumage des oiseaux du tropique est très nuancé, d’une coloration vive et éclatante : on donne de ce fait une explication très générale d’ailleurs, tirée de l’action énergique de la lumière dans la région intertropicale : c’est la cause efficiente. J’alléguerais comme cause finale, que ce plumage brillant est un uniforme de luxe, auquel se reconnaissent entre eux les individus des espèces innombrables en ces contrées, souvent comprises dans le même genre ; et ainsi chaque mâle peut trouver sa femelle. Il en est de même des papillons des différentes zones et des diverses latitudes. — On a observé que des femmes phtisiques deviennent facilement enceintes dans le dernier stade de leur maladie, que durant la grossesse le mal subit un arrêt, pour reprendre plus fort encore après l’accouchement et amener presque toujours la mort ; de même des hommes phtisiques, dans les derniers temps de leur vie, procréent très souvent encore un enfant. La cause finale est ici que la nature, partout si soucieuse et si anxieuse de la conservation des espèces, veut s’empresser de compenser par la naissance d’un être nouveau la disparition prochaine d’un individu encore dans la force de l’âge ; la cause efficiente au contraire est l’excitation anormale du système nerveux qui se produit pendant la dernière période de la phtisie. La même cause finale explique ce phénomène analogue (selon Oken, De la génération, page 63) de la mouche qui, empoisonnée par l’arsenic, s’accouple encore, mue par