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le monde comme volonté et comme représentation

indique un principe indépendant de la téléologie, mais qui ne laisse pas d’être la base sur laquelle elle construit, ou la matière donnée par avance pour ses œuvres futures, ce que Geoffroy Saint-Hilaire a appelé « l’élément anatomique ». C’est l’unité du plan (sic), le type primitif fondamental du règne animal supérieur ; c’est en quelque sorte le mode musical choisi librement par la nature, le ton sur lequel elle exécute ses variations.

La différence entre la cause efficiente et la cause finale a été déjà justement marquée par Aristote (De part, anim., I, 1) en ces termes : Δυο τροποι της αιτιας, το ου ενεκα και το εξ αναγκης, και δει λεγοντας τυγχανειν μαλιστα μεν αμφοιν. (Duo sunt causæ modi : alter cujus gratia, et alter e necessitate ; ac potissimum utrumque cruere oportet). La cause efficiente est le moyen qui a donné l’existence à une chose, la cause finale est la raison de cette existence ; dans le temps le phénomène à expliquer a la première derrière soi, la seconde devant soi. C’est seulement dans les actions volontaires d’êtres animaux que les deux causes se rencontrent sans intermédiaire, car alors la cause finale, la fin apparaît sous forme de motif : or le motif est toujours la cause véritable et propre de l’action, c’en est la cause absolument efficiente, le changement antérieur qui la provoque, l’amène nécessairement à se produire et lui permet seule de se réaliser, ainsi que je l’ai démontré dans mon mémoire sur le Libre arbitre. Car, quelque fait physiologique qu’on veuille intercaler entre l’acte volontaire et le mouvement corporel, la volonté, il faut en convenir, n’en demeure toujours pas moins le moteur, mû à son tour par le motif venu du dehors, c’est-à-dire par la cause finale, qui agit ici à titre de cause efficiente. Nous savons de plus, par ce qui précède, qu’au fond le mouvement corporel ne fait qu’un avec l’acte volontaire, dont il est le simple phénomène dans l’intuition cérébrale. Il faut bien retenir cette rencontre de la cause finale avec la cause efficiente dans le seul phénomène qui nous soit intimement connu, et qui reste ainsi toujours pour nous le phénomène primitif : car nous sommes par là conduits à admettre qu’au moins dans la nature organique, dans laquelle les causes finales nous servent de guide, c’est la volonté qui crée les formes. Le seul moyen pour nous, en effet, d’avoir une idée nette d’une cause est de la regarder comme un but voulu, c’est-à-dire comme un motif. Bien plus, dans une étude exacte des causes finales dans la nature, nous ne devons pas, pour en exprimer l’essence transcendante, nous effrayer d’une contradiction, et nous devons dire sans crainte : la cause finale est un motif agissant sur un être, dont il n’est pas connu. Car, n’en doutons pas, la disposition des nids des termites est le motif qui a produit la mâchoire dépourvue de dents du fourmilier, ainsi que sa longue langue filiforme et gluante ; la dureté de la