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le monde comme volonté et comme représentation

la volonté d’agir est déjà l’action, l’œuvre elle-même ; car, je le répète, l’organisme n’est que la réalisation dans le cerveau de la forme visible d’une volonté déjà existante.

Il résulte de cette condition nettement exprimée des êtres organisés que la téléologie, hypothèse de l’appropriation de tout organe à une fin, est un guide des plus sûrs dans l’étude de toute la nature organique. Au point de vue métaphysique, au contraire, quand il s’agit de comprendre la nature au-delà de toute expérience possible, on ne peut y faire appel que secondairement et subsidiairement, pour confirmer des principes d’explication puisés ailleurs : car ici elle fait elle-même partie des problèmes dont il s’agit de rendre compte. — Aussi, quand on rencontre chez un animal un organe, dont on n’aperçoit pas la destination, il ne faut jamais avancer l’idée que la nature l’aurait produit sans but, par jeu et par pur caprice. Une telle pensée serait tout au plus possible dans l’hypothèse d’Anaxagore, pour qui la nature tiendrait son arrangement d’une raison ordonnatrice, mise en cette qualité au service d’une volonté étrangère ; mais elle est inadmissible dans la théorie qui place l’essence intime (c’est-à-dire extérieure à notre représentation) de tout organisme tout entière dans sa propre volonté : car alors aucune partie ne peut exister que sous condition d’être utile à la volonté qui lui sert de base, d’en exprimer et d’en réaliser quelque tendance, et de contribuer ainsi en quelque manière à la conservation de cet organisme. En effet, en dehors de la volonté qui apparaît en lui et des conditions extérieures, parmi lesquelles il a, de son plein gré, entrepris de vivre, et dont toute sa forme et toute son ordonnance sont disposées en vue de soutenir le conflit, il n’est rien qui ait pu influer sur lui, déterminer sa figure et ses parties, ni l’arbitraire, ni la fantaisie. Tout en lui doit donc être approprié à une fin, et les causæ finales doivent être notre guide dans l’intelligence de la nature organique, comme les causæ efficientes dans celle de la nature inorganique. De là, en anatomie ou en zoologie, notre étonnement mêlé de colère quand nous ne pouvons trouver la destination d’un organe donné, comme, en physique, à la vue d’un effet dont la cause demeure cachée : et dans un cas comme dans l’autre nous tenons, nous posons pour certain ce qui nous échappe, et nous continuons nos recherches, malgré l’insuccès répété des tentatives antérieures. Tel est par exemple le cas pour la rate : on ne cesse d’amasser les hypothèses sur son utilité possible, et cela jusqu’au jour où l’une d’entre elles se confirmera comme la véritable. Il en est de même des grandes défenses en spirale du babiroussa, des appendices en forme de cornes de certaines chenilles, etc. Nous jugeons d’après le même principe des cas négatifs ; par exemple, de l’absence chez certains sauriens, ordre en général si