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CHAPITRE XXVI[1]
DE LA TÉLÉOLOGIE


La finalité partout présente dans la nature organique, et destinée à assurer le maintien de chaque être, ainsi que la conformité de cette nature organique avec la nature inorganique, ne peut prendre plus naturellement place dans la suite d’aucun système philosophique que dans celui qui donne pour fondement à l’existence de toute créature naturelle une volonté propre à en exprimer l’essence et la tendance non seulement dans les actions, mais déjà même dans la forme de l’organisme tel qu’il nous apparaît. Je n’ai fait qu’indiquer dans le précédent chapitre l’explication que ma méthode m’amenait à donner de ce point ; je l’avais déjà exposée dans le passage du premier volume mentionné ci-dessous, et surtout avec clarté et avec détails dans mon écrit la Volonté dans la nature, sous la rubrique Anatomie comparée. J’y rattache aujourd’hui encore les explications suivantes.

L’admiration pleine de surprise qui a coutume de nous saisir à l’examen de la convenance infinie répandue dans la structure de tous les êtres organisés, repose au fond sur une supposition bien naturelle, mais qui n’en est pas moins fausse : cette concordance des parties les unes avec les autres, avec l’ensemble de l’organisme, avec ses fins extérieures, conçue et jugée par nous au moyen de la connaissance, c’est-à-dire par la voie de la représentation, nous semble aussi y avoir été introduite par la même voie ; c’est pour l’intelligence qu’elle existe ; c’est de même par l’intelligence qu’elle aurait été réalisée à nos yeux. Sans doute, nous ne pouvons produire rien d’aussi ordonné, d’aussi régulier qu’un cristal par exemple, sans l’appui de la règle et de la loi, ni mettre en rien la finalité, sans être guidés par le concept de fin : mais rien ne nous autorise à transporter cette limitation de nos facultés à la nature, qui est un Prius de tout intellect, et dont l’action, je l’ai dit dans le précédent chapitre, diffère totalement de la nôtre. Elle crée ce qui paraît si convenable et si médité, sans réflexion, sans notion de fin, dénuée qu’elle est de la représentation, élément d’origine toute secondaire. Considérons d’abord la simple régularité, avant

  1. Ce chapitre et le suivant se rapportent au § 28 du premier volume.