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le monde comme volonté et comme représentation

est ici, mais à laquelle je pourrai donner moins de clarté encore qu’à la considération objective exposée plus haut, forcé que je suis pour l’exprimer d’avoir recours à la comparaison et à l’image. — Pourquoi notre conscience gagne-t-elle en netteté et en précision à mesure qu’elle se rapproche de l’extérieur ? Elle atteint en effet sa plus grande distinction dans l’intuition sensible, qui appartient déjà à demi aux choses externes. Pourquoi s’obscurcit-elle au contraire dans sa marche vers l’intérieur, et nous conduit-elle, si nous la poursuivons jusqu’à ses dernières limites, au milieu de ténèbres où cesse toute connaissance ? C’est, à mes yeux, parce que la conscience suppose l’individualité, et que celle-ci appartient déjà au pur phénomène, puisqu’à titre de multiplicité des êtres de même espèce, elle a pour conditions les formes phénoménales, le temps et l’espace. La partie intime de notre être a au contraire ses racines dans ce qui n’est plus phénomène, mais chose en soi, là où n’atteignent pas les formes phénoménales, là où manquent par suite les conditions principales de l’individualité et où avec celle-ci disparaît la conscience expresse. En ce point racine, en effet, cesse toute diversité des êtres, comme au centre d’une sphère celle des rayons ; et de même que dans la sphère la surface commence là où les rayons finissent et se brisent, de même la conscience n’est possible que là où la chose en soi aboutit au phénomène ; les formes phénoménales rendent possible l’individualité nettement tranchée, sur laquelle repose la conscience, et ainsi la conscience se trouve limitée aux phénomènes. Aussi tout ce qu’il y a de précis, et de bien compréhensible dans notre conscience ne se trouve-t-il toujours situé qu’à l’extérieur, sur cette surface de la sphère. Dès que nous nous en éloignons, au contraire, la conscience nous abandonne, — dans le sommeil, dans la mort en quelques mesure aussi dans l’action magnétique ou magique ; car se sont là autant de chemins vers le centre. Et c’est parce que la conscience distincte réclame pour condition la surface de la sphère et n’est pas dirigée vers le centre, qu’elle reconnaît bien les autres individus pour des êtres de même espèce, mais non pour des créatures identiques, ce qu’ils sont pourtant en eux-mêmes. L’immortalité de l’individu se pourrait comparer au départ d’un point de la surface par la tangente ; l’immortalité de l’ensemble des phénomènes, en vertu de l’éternité de leur essence propre, aurait pour analogue le retour de ce même point, par le rayon, vers le centre, dont la surface n’est que l’extension. La volonté en tant que chose en soi est entière et indivise en chaque être, comme le centre est partie intégrante de chaque rayon : l’extrémité périphérique de ce rayon est entraînée, avec la surface qui représente le temps et son contenu, dans une rotation des plus rapides ; l’autre extrémité, au contraire, située au