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le monde comme volonté et comme représentation

lité, les actions ou les effets de tous les êtres en ce monde sont toujours rigoureusement nécessités par les causes qui les provoquent à chaque coup. Et, à cet égard, peu importe qu’une telle action soit due à des causes, au sens le plus étroit du mot, ou à de simples excitations, ou enfin à des motifs, toutes différences relatives seulement au degré de réceptivité des différents êtres. Il n’y a pas d’illusion à se faire à ce sujet : la loi de causalité n’admet aucune exception ; mais tout, depuis le mouvement du grain de poussière qui voltige au soleil, jusqu’à l’acte le plus réfléchi de l’homme, y est soumis avec une égale rigueur. Aussi, dans tout le cours du monde, serait-il impossible et à un grain de poussière de décrire dans son vol une autre ligne que celle qu’il décrit, et à un homme d’agir autrement qu’il n’a agi : la vérité la plus certaine est que toute chose qui se produit, petite ou grande, se produit par une entière nécessité. En conséquence, à tout moment donné, l’ensemble de l’état des choses est déterminé strictement et sans retour par l’état immédiatement antérieur ; et il en est ainsi, qu’on remonte ou qu’on descende à l’infini le cours du temps. Il s’ensuit que la marche du monde est analogue à celle d’une montre dont on a assemblé les parties et qu’on a remontée ; et le monde, à ce point de vue incontestable, n’est qu’une simple machine, dont on ne pénètre pas le but. Quand même, sans y être autorisé par rien, et, au fond, en dépit de toutes les lois de la pensée, on voudrait supposer un premier commencement, on ne changerait par là rien d’essentiel. Car le premier état des choses, à leur origine, état arbitrairement posé, aurait fixé et déterminé irrévocablement l’état immédiatement postérieur, dans son ensemble et jusque dans ses plus petits détails ; celui-ci déterminerait à son tour le suivant, et ainsi de suite, per secula seculorum, puisque la chaîne de la causalité, avec sa rigueur absolue, — ce lien d’airain de la nécessité et du destin, — amène invariablement et sans retour tout phénomène, tel qu’il est. La seule différence reviendrait à ceci que, dans l’une des deux hypothèses, nous aurions devant nous une horloge une fois remontée, et dans l’autre, un perpetuum mobile, mais la nécessité de la marche demeurerait la même dans les deux cas. La conduite des hommes ne peut faire exception à la règle : j’en ai donné, dans le mémoire cité, des preuves irréfutables, en montrant qu’elle résulte chaque fois, avec une nécessité rigoureuse, de deux facteurs, le caractère et les motifs actuels, le premier inné et immuable, les seconds, fatalement amenés, au cours de la causalité, par la marche inflexible du monde.

Il nous est impossible de nous dérober à cette manière de voir, fondée sur les lois objectives du monde, valables a priori ; il s’ensuit que le monde, avec tout ce qu’il contient, semble être le jeu