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la matière

d’expériences, où il avait fait agir la lumière du soleil sur des substances de diverse couleur ; le plus curieux était qu’un rouleau de papier blanc, exposé au soleil, produit encore les mêmes effets après six mois, quand il a été conservé durant ce temps dans un étui de métal solidement fermé : est-ce que le trémolo aurait fait une pause de six mois pour reprendre alors a tempo ? (Comptes rendus du 20 décembre 1838.) — Toute cette hypothèse des trémolos d’atomes éthérés n’est pas seulement une chimère, mais encore elle ne le cède pas en maladresse et en grossièreté aux pires idées de Démocrite ; bien plus, elle est assez impudente pour se donner aujourd’hui comme chose convenue ; et il a pu en résulter que des milliers de sots écrivassiers en tous genres, dénués de toute connaissance en cette matière, s’en fassent l’écho complaisant et fidèle, et y croient comme à un évangile. — Mais la doctrine atomistique en général va plus loin encore, et l’on peut bientôt dire : Spartam quam nactus es, orna ! On attribue à tous ces atomes des mouvements incessants et divers de rotation, de vibration, etc., selon la fonction de chacun ; de même tout atome possède son atmosphère d’éther, ou quelque qualité différente, et autres rêvasseries du même genre. — Les fantaisies de la philosophie naturelle de Schelling et de ses partisans étaient encore pour la plupart spirituelles, élevées dans leur hardiesse, ou du moins ingénieuses ; celles-ci au contraire sont lourdes, plates, gauches et maladroites ; elles sont le produit de cerveaux incapables de concevoir, d’abord, une réalité autre qu’une matière sans qualités inventée par eux, véritable objet absolu, c’est-à-dire objet sans sujet, et, en second lieu, une activité différente du mouvement et du choc : voilà les deux seuls principes qu’ils comprennent, et auxquels a priori ils prétendent tout ramener, car voilà leur chose en soi. À cet effet, ils réduisent la force vitale à des forces chimiques, dénommées par eux insidieusement et sans preuves forces moléculaires, et tous les processus de la nature inorganique au mécanisme, c’est-à-dire au choc direct et au choc en retour. Et ainsi le monde tout entier, avec tout ce qu’il renferme, finirait par n’être plus qu’un appareil mécanique, semblable à ces jouets qui, mus par un levier, des roues et du sable, représentent une mine ou quelque exploitation agricole. — L’origine du mal est dans l’abus du travail manuel de l’expérimentation qui a fait perdre l’habitude du travail intellectuel de la pensée. Le creuset et les piles de Volta doivent remplir les fonctions du cerveau : de là aussi cette aversion profonde pour toute espèce de philosophie.

Pour donner un autre tour à la question, on pourrait dire que si le matérialisme, sous les formes qu’il a revêtues jusqu’ici, a échoué, c’est pour n’avoir pas suffisamment connu cette matière, dont il voulait construire le monde, et y avoir substitué un enfant supposé, dénué de toute qualité ; si, au contraire, il avait pris la