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le monde comme volonté et comme représentation

diens ; mais par exemple elle n’a, au lieu de l’éléphant, que le tapir, au lieu du lion que le couguar, au lieu du tigre que le jaguar, au lieu du chameau, que le lama, et au lieu des singes proprement dits, que de simples guenons. Ce dernier manque nous permet déjà de conclure qu’en Amérique la nature n’a pu parvenir jusqu’à l’homme, puisque, même du degré inférieur le plus proche, du chimpanzé et de l’orang-outang ou pongo, le pas était encore immense jusqu’à l’homme. Aussi voyons-nous les trois races humaines que des raisons linguistiques et physiologiques nous assurent être également primitives, les races caucasienne, mongole et éthiopienne, n’avoir leur patrie originelle que dans l’ancien continent ; l’Amérique, au contraire, est peuplée par une race mongole qui a subi un mélange ou des modifications climatériques et qui doit y être passée d’Asie. Sur la surface terrestre, dans l’état immédiatement antérieur à celui d’aujourd’hui, la nature s’était élevée çà et là jusqu’au singe, mais non pas jusqu’à l’homme.

Nos considérations nous ont fait reconnaître dans la matière la forme visible immédiate de la volonté présente en toutes choses, et si nous l’examinons par le côté purement physique, en suivant le fil du temps et de la causalité, elle nous apparaît encore comme l’origine des choses ; de ce point de vue nous sommes amenés sans peine à nous demander si, même en philosophie, on ne pourrait pas prendre aussi bien un point de départ objectif que subjectif et poser par suite comme vérité fondamentale ce principe : « Il n’existe absolument rien hors la matière et les forces qui lui sont inhérentes ». Mais empressons-nous de rappeler à propos de ces « forces inhérentes » qu’on met si volontiers en avant, que les supposer c’est ramener toute explication à un miracle entièrement incompréhensible, pour se condamner ensuite à s’arrêter devant ce mystère ou à en partir : car c’est un vrai miracle que chacune de ces forces naturelles, déterminées et insondables, fondement des actions variées d’un corps inorganique, tout autant que cette force vitale présente dans tout organisme. Je l’ai expliqué et exposé avec détail au chapitre xvii, jamais la physique ne pourra détrôner la métaphysique, justement parce qu’elle laisse sans démonstration aucune l’hypothèse signalée ci-dessus et bien d’autres encore : aussi lui faut-il renoncer dès le début à la prétention de fournir une interprétation dernière des choses. Je dois rappeler de plus qu’à la fin du premier chapitre j’ai établi l’insuffisance du matérialisme : il est, comme je le disais, la philosophie du sujet qui oublie de se compter lui-même dans ses calculs. Mais tout cet ensemble de vérités repose sur la nature de l’objectif : tout ce qui est objectif et extérieur n’est jamais qu’un objet de perception et de connaissance ; c’est donc toujours et seulement un élément médiat et secondaire,