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CHAPITRE XXIV
DE LA MATIÈRE


J’ai déjà traité de la matière dans les Compléments au premier livre, au quatrième chapitre, en considérant la partie de la connaissance qui nous est donnée a priori. Mais là nous n’avons pu l’envisager exclusivement qu’à un seul point de vue : nous n’en considérions en effet que le rapport avec les formes de notre intellect et non avec la chose en soi, c’est-à-dire que nous ne l’examinions que par le côté subjectif, en tant qu’elle est notre représentation, et non par le côté objectif, c’est-à-dire selon ce qu’elle peut être en soi. Sous ce premier rapport, notre conclusion a été qu’elle est l’activité en général, conçue objectivement, mais sans détermination spéciale ; aussi, sur le tableau que nous y avons joint de nos connaissances a priori, occupe-t-elle la place de la causalité. Car ce qui est matériel, c’est ce qui agit (das Wirkliche, le réel), en général et abstraction faite du mode spécifique de son action. Il s’ensuit aussi que la matière, en tant que telle, n’est pas objet d’intuition, mais seulement de pensée ; c’est donc une pure abstraction : dans l’intuition, au contraire, elle n’apparaît que liée à la forme et à la qualité, comme corps, c’est-à-dire comme un mode déterminé d’activité. C’est seulement par abstraction de cette détermination plus précise que nous pensons la matière en tant que telle, c’est-à-dire séparée de la forme et de la qualité : nous concevons donc sous cette matière le fait absolu et général d’agir, c’est-à-dire l’activité in abstracto. L’action plus spécialement déterminée n’est plus alors à nos yeux que l’accident de la matière ; mais c’est pour elle le seul moyen de devenir perceptible, c’est-à-dire de se présenter à nous comme corps et objet d’expérience. La pure matière, au contraire, qui seule, ainsi que je l’ai montré dans la critique de la philosophie kantienne, constitue le contenu réel et légitime de la notion de substance, c’est la causalité même, conçue objectivement, c’est-à-dire comme située dans l’espace et propre à le remplir. Toute l’essence de la matière consiste donc dans l’action : c’est par l’action seule qu’elle remplit l’espace et persiste dans le temps ; elle est de part en part pure causalité. Où il y a action, il y a matière, et la matière, c’est en général ce qui agit. — Or la causalité elle-même est la forme de notre entendement : car, aussi bien que l’espace et le temps, elle