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objectivation de la volonté dans la nature inanimée

puisque Kant, à l’exemple de Priestley, a très justement décomposé la matière en forces. — Mais alors même que, sans accorder aucune valeur à l’analogie ici établie, on voudrait s’en tenir à l’idée que la diversité des poids spécifiques a sa seule raison dans la porosité, nous ne serions toujours pas amenés à l’hypothèse des atomes, mais seulement à celle d’une matière absolument pleine et inégalement répartie dans les différents corps ; par suite, cette matière, là où il n’y aurait plus de pores pour la traverser, cesserait sans doute de prêter à une compression ultérieure, mais ne laisserait pas de demeurer divisible à l’infini comme l’espace qu’elle remplit : car l’absence de pores ne supprime pas la possibilité d’une force capable de rompre la continuité de ses parties étendues. Dire, en effet, que toute division n’est possible que par élargissement d’intervalles déjà existants, c’est émettre une assertion tout arbitraire.

L’hypothèse atomistique repose précisément sur les deux phénomènes en question, savoir, sur la diversité des poids spécifiques des corps et sur celle de leur compressibilité, faits que cette hypothèse explique tous deux avec une égale facilité. Mais alors les deux phénomènes devraient toujours exister dans la même proportion, et tel n’est pas du tout le cas. L’eau par exemple, de poids spécifique bien inférieur à celui de tous les métaux proprement dits, devrait ainsi renfermer moins d’atomes, des atomes séparés par des interstices plus considérables, et par suite être très compressible ; loin de là, elle ne l’est presque pas.

Pour défendre la théorie des atomes il faudrait partir de la porosité et dire à peu près : tous les corps ont des pores, toutes les parties d’un corps en ont donc aussi ; et si l’on continuait ainsi à l’infini, il finirait par ne plus rien rester d’un corps que des pores. — La réponse serait que l’élément restant devrait, il est vrai, être supposé dépourvu de pores et par conséquent absolument dense, mais non pas encore conçu pour cela comme formé de particules absolument indivisibles, d’atomes ; absolument incompressible, il ne serait pas absolument indivisible. Sinon, il faudrait soutenir que la division d’un corps n’est possible que par pénétration dans les pores, ce qui n’est nullement démontré. Le prétend-on cependant, on a sans doute en ce cas des atomes, c’est-à-dire des corps absolument indivisibles, des corps dont les parties étendues ont une si puissante cohésion qu’aucune force possible ne peut les séparer ; mais de tels corps peuvent se supposer aussi bien grands que petits, et un atome pourra être aussi grand qu’un bœuf, pourvu qu’il résiste à toute attaque possible.

Imaginez deux corps de nature très différente, et qu’on aurait dépouillés de tous leurs pores par compression, comme au moyen de marteaux, ou par pulvérisation : leurs poids spécifiques seraient-ils devenus égaux ? Ce serait là le critérium de la dynamique.