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comment la chose en soi est connaissable.

arriverons toutefois à reconnaître qu’en dernier lieu, l’essence des deux processus cités est identique, identique bien entendu comme l’est le dernier son encore perceptible de l’échelle harmonique à un son de même nom, situé dix octaves plus haut.

N’oublions pas cependant (pour moi, je me suis toujours attaché à ce point de vue) que cette perception intime que nous avons de notre propre volonté est loin de fournir une connaissance complète et adéquate de la chose en soi. Ce serait le cas, si cette perception était tout à fait immédiate. Or, elle nous arrive à travers toute une série d’intermédiaires : la volonté en effet se crée un corps, au moyen de ce corps un intellect qui lui permette d’entrer en relations avec le monde extérieur, et enfin, grâce à cet intellect, elle se reconnaît dans la conscience réfléchie (pendant nécessaire du monde extérieur) comme volonté ; par conséquent cette connaissance de la chose en soi n’est pas complètement adéquate. Car dans la conscience même le moi n’est pas absolument simple, mais il se compose d’une partie connaissante, l’intellect, et d’une partie connue, la volonté : le premier n’est pas connu, celle-ci ne connaît pas, bien que tous deux se rencontrent et se confondent dans la conscience d’un même moi. Aussi ce moi n’est-il pas intimement connu dans tous ses éléments, il n’est pas absolument transparent, mais opaque, et c’est pourquoi il demeure une énigme à lui-même. Ainsi donc dans la connaissance de notre être interne aussi il y a une différence entre l’être en soi de l’objet de cette connaissance et la perception de cet être dans le sujet qui connaît. Toutefois, cette connaissance intérieure est affranchie de deux formes inhérentes à la connaissance externe, à savoir de la forme de l’espace et de la forme de la causalité, médiatrice de toute intuition sensible. Ce qui demeure, c’est la forme du temps, et le rapport de ce qui connaît à ce qui est connu. Par conséquent dans cette conscience intérieure, la chose en soi s’est sans doute débarrassée d’un grand nombre de ses voiles, sans toutefois qu’elle se présente tout à fait nue et sans enveloppe. Comme la forme du temps est inhérente à notre volonté, nous ne la connaissons que dans ses actes isolés et successifs, non pas dans son tout, telle qu’elle est en soi et pour soi ; et c’est pourquoi aussi personne ne connaît a priori son caractère, qui ne se révèle qu’imparfaitement par la voie de l’expérience. Mais, malgré toutes ces imperfections, la perception dans laquelle nous saisissons les impulsions et les actes de notre volonté propre, est de beaucoup plus immédiate que toute autre perception ; elle est le point où la chose en soi entre le plus immédiatement dans le phénomène, où elle est éclairée de plus près par le sujet qui connaît. Aussi ce processus ainsi connu est-il seul apte à devenir le point de départ pour une explication du reste.