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le monde comme volonté et comme représentation

serve son éclat. » Le fait est connu et d’un usage courant. Je le cite pour dire qu’en ce cas la volonté du cuivre, tout absorbée et occupée par son opposition électrique avec le fer, laisse passer, sans en user, l’occasion qui s’offrait à elle de manifester son affinité chimique pour l’oxygène et pour l’acide carbonique. C’est tout à fait le cas de l’homme dont la volonté renonce à une action, vers laquelle elle se sentirait d’ailleurs du penchant, pour en accomplir une autre, à laquelle le porte un motif plus puissant.

Dans le premier volume, j’ai montré que les forces naturelles sont extérieures à la chaîne des effets et des causes, parce qu’elles en constituent la condition constante, le fondement métaphysique, et qu’elles s’affirment ainsi comme éternelles et présentes en tout lieu, c’est-à-dire comme indépendantes de l’espace et du temps. Il y a plus : cette vérité incontestée, que l’essence d’une cause, en tant que cause, consiste à produire en tout temps le même effet qu’aujourd’hui, contient déjà l’idée que la cause renferme un élément indépendant du cours du temps, c’est-à-dire extérieur au temps, et cet élément est la force naturelle qui s’y manifeste. On peut même, en considérant l’impuissance du temps vis-à-vis des forces naturelles, se convaincre en quelque sorte par l’expérience et le fait de l’idéalité de cette forme de notre intuition. Supposons par exemple un mouvement de rotation imprimé à une planète par quelque cause extérieure : si aucune cause nouvelle ne vient l’annuler, ce mouvement se prolonge à l’infini. Il ne pourrait pas en être ainsi, si le temps était quelque chose en soi, et s’il avait une existence objective et réelle ; car il ne pourrait manquer alors d’exercer quelque action. Deux choses s’offrent donc à nous : d’une part, les forces naturelles, manifestées dans cette relation qui, une fois commencée, se poursuit à l’infini, sans fatigue et sans arrêt, et où elles s’affirment comme éternelles et extérieures au temps, c’est-à-dire comme absolument réelles et existant en elles mêmes ; et d’autre part, le temps, objet qui ne consiste que dans le mode et le genre de notre aperception du phénomène, puisqu’il n’exerce sur ce phénomène lui-même aucun pouvoir ni aucune influence ; car ce qui n’agit pas n’existe pas non plus.

Nous avons une tendance naturelle à expliquer autant que possible par des raisons mécaniques tout phénomène naturel : c’est sans doute que la mécanique appelle à son aide le moins de forces premières et inexplicables, et qu’elle contient par contre bien des principes connaissables a priori et par là fondés sur les formes de notre intellect propre ; d’où résulte pour cette science le plus haut degré d’intelligibilité et de clarté. Cependant Kant, dans ses Éléments métaphysiques de la science naturelle, a ramené l’activité mécanique elle-même à une activité dynamique. En revanche, l’emploi