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objectivation de la volonté dans la nature inanimée

vement, c’est ce que nous apprend l’hydrodynamique, qui doit considérer en outre les obstacles opposés par l’adhérence à la volonté de l’eau : ces deux sciences par leur réunion constituent l’hydraulique. De même la chimie nous enseigne comment se comporte la volonté, lorsque, par la réduction à l’état liquide, les propriétés internes de la matière acquièrent une entière liberté de jeu ; elle nous fait assister à cet étonnant spectacle de l’attraction et de la répulsion de la dissolution et de la composition des corps, qui abandonnent tel élément pour en saisir un autre, comme l’atteste le précipité qui se forme, en un mot à tout ce qu’on désigne de ce terme d’affinité, emprunté sans aucun doute à la volonté consciente. — L’anatomie et la physiologie nous font voir comment procède la volonté pour produire le phénomène de la vie et l’entretenir durant un moment. Le poète nous en montre enfin l’action sous l’influence des motifs et de la réflexion. Aussi la représente-t-il le plus souvent dans les plus parfaites de ces manifestations, chez les êtres raisonnables, doués d’un caractère individuel et dont il nous décrit les actes et les souffrantes réciproques sous forme de drame, d’épopée, de roman, etc. Plus la peinture de ses caractères est exacte et rigoureusement conforme aux lois de la nature, plus grand aussi est son mérite ; d’où la supériorité de Shakespeare. Le point de vue ici considéré répond essentiellement à l’esprit dans lequel Gœthe cultivait et aimait les sciences naturelles, bien qu’il n’en eût pas conscience in abstracto : je le sais mieux encore, par les déclarations personnelles qu’il m’a faites, que par ce qui ressort de ses écrits.

Si nous envisageons la volonté là où personne ne la conteste, c’est-à-dire dans les êtres doués de connaissance, nous lui trouvons partout pour tendance fondamentale chez tous les êtres, sa propre conservation : omnis natura vult esse conservatrix sui. Mais toutes les manifestations de cette tendance fondamentale peuvent toujours se ramener à un effort pour chercher ou poursuivre, pour éviter ou pour fuir, selon les occasions. Or c’est ce qu’on peut voir même au degré le plus bas de la nature, c’est-à-dire de l’objectivation de la volonté, alors que les corps n’agissent plus que comme corps en général, c’est-à-dire deviennent objets de la mécanique, sous les seuls rapports de l’impénétrabilité, de la cohésion, de la solidité, de l’élasticité et de la pesanteur. Ici encore l’attraction apparaît sous la forme de la gravitation, la tendance à fuir sous celle de la réception du mouvement, et la mobilité des corps par suite de pression ou de choc, qui constitue la base de la mécanique n’est au fond que l’expression de la tendance à la conservation propre inhérente en eux.

Puisque, en leur qualité de corps, ils sont impénétrables, la mobilité est pour eux en effet le seul moyen de garantir leur cohésion et par là leur existence à chaque instant. Le corps choqué ou