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objectivation de la volonté dans la nature inanimée

sance la plus exacte et la plus intime, mais qui ne nous est pourtant donné qu’au dedans de notre être propre, pour être ensuite transporté par nous aux autres phénomènes. C’est l’idée que la substance intime et originelle est identique, quant à sa matière, dans tous les changements et mouvements des corps, si variés qu’ils soient ; mais que la seule occasion d’en acquérir une connaissance précise et immédiate nous est fournie par les mouvements de notre propre corps et qu’à la suite de cette expérience nous lui devons donner le nom de volonté. C’est enfin l’idée que la force qui agit et se meut dans la nature et se manifeste dans des phénomènes de plus en plus parfaits, après s’être élevée assez haut pour que la connaissance l’éclaire d’une lumière directe, c’est-à-dire une fois parvenue à l’état de conscience de soi, nous apparaît comme étant cette volonté, cette notion dont nous avons la connaissance la plus précise et qui par cela même, loin de pouvoir s’expliquer par quelque élément étranger, sert bien plutôt elle-même d’explication à tout le reste. Elle est donc la chose en soi, autant qu’une connaissance quelconque peut y atteindre. Elle est ainsi ce qui doit s’exprimer de n’importe quelle manière, dans n’importe quelle chose au monde : car elle est l’essence du monde et la substance de tous les phénomènes.

Ma dissertation sur la Volonté dans la nature est entièrement consacrée au sujet de ce chapitre et contient les témoignages de savants impartiaux sur ce point capital de ma doctrine : aussi n’ai-je plus ici qu’à ajouter aux développements déjà donnés quelques observations complémentaires et présentées par suite dans un ordre quelque peu fragmentaire.

Et tout d’abord, pour ce qui est de la vie des plantes, j’appelle l’attention sur les deux premiers chapitres du traité d’Aristote sur les plantes, bien curieux à cet égard. La partie la plus intéressante et le fait est fréquent chez Aristote, en est celle où il rapporte les opinions des philosophes antérieurs et plus profonds que lui. Nous y voyons qu’Anaxagore et Empédocle étaient dans le vrai en enseignant que les plantes doivent le mouvement de leur croissance à une appétition (επιθυμια) inhérente en elles ; qu’ils allaient jusqu’à leur attribuer même la joie et la douleur, donc la sensation. Platon ne leur reconnaissait que la seule appétition, en raison de leur puissant instinct de nutrition. (Cf. Platon dans le Timée, p. 403, Ed. Bipont.) Aristote, au contraire, fidèle à sa méthode ordinaire, glisse à la surface des choses, s’en tient à des indices isolés, à des notions fixées ou des expressions courantes, soutient qu’il ne saurait y avoir d’appétition dans la sensation, et refuse cependant cette dernière aux plantes. La confusion de son langage témoigne du grand embarras où il se trouve, jusqu’au moment où dans ce cas encore