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le monde comme volonté et comme représentation

appartenons nous-mêmes à la catégorie des choses à connaître, que nous sommes nous-mêmes la chose en soi, qu’en conséquence si nous ne pouvons pas pénétrer du dehors jusqu’à l’être propre et intime des choses, une route, partant du dedans, nous reste ouverte : ce sera en quelque sorte une voie souterraine, une communication secrète qui, par une espèce de trahison, nous introduira tout d’un coup dans la forteresse, contre laquelle étaient venues échouer toutes les attaques dirigées du dehors.

La chose en soi, comme telle, ne peut entrer dans la conscience que d’une manière tout à fait immédiate, à savoir en ce sens qu’elle-même prendra conscience d’elle-même ; prétendre la connaître objectivement, c’est vouloir réaliser une contradiction. Tout ce qui est objectif est simple représentation, simple phénomène, voire simple phénomène du cerveau.

Le résultat essentiel de la critique kantienne peut se résumer comme suit : — Tous les concepts qui n’ont point à leur base une intuition dans l’espace et le temps (intuition sensible), c’est-à-dire qui ne sont pas puisés dans une telle intuition, sont absolument vides, c’est-à-dire qu’ils ne fournissent aucune connaissance. Or, l’intuition ne fournissant que des phénomènes et non pas les choses en soi, il en résulte que nous n’avons aucune connaissance des choses en soi. — J’accorde cette conclusion d’une manière générale, sauf quand il s’agit de la connaissance que chacun a de son propre vouloir ; cette connaissance n’est pas une intuition (toute intuition étant située dans l’espace), et n’est pas non plus vide : elle est au contraire plus réelle qu’aucune autre. Elle n’est pas non plus a priori, comme la connaissance purement formelle, mais entièrement a posteriori ; c’est même pourquoi nous ne pouvons pas, dans un cas particulier, anticiper cette connaissance : les prévisions que nous risquons en ce sens sont le plus souvent démenties. En fait, notre volonté nous fournit l’unique occasion que nous ayons d’arriver à l’intelligence intime d’un processus qui se présente à nous d’une manière objective ; c’est elle qui nous fournit quelque chose d’immédiatement connu, et qui n’est pas, comme tout le reste, uniquement donné dans la représentation. C’est donc dans la Volonté qu’il faut chercher l’unique donnée susceptible de devenir la clé de toute autre connaissance vraie ; c’est de la Volonté que part la route unique et étroite qui peut nous mener à la vérité. Par conséquent, c’est en partant de nous-mêmes qu’il faut chercher à comprendre la Nature, et non pas inversement chercher la connaissance de nous-mêmes dans celle de la nature. Est-ce que d’aventure on comprendrait mieux la mise en mouvement d’une bille après une impulsion reçue, que notre propre mouvement après un motif perçu ? Beaucoup le croiront ; mais moi j’affirme que le contraire est vrai. Nous