Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XXIII[1]
DE L’OBJECTIVATION DE LA VOLONTÉ DANS LA NATURE INANIMÉE


La volonté, que nous trouvons au-dedans de nous, ne résulte pas avant tout, comme l’admettait jusqu’ici la philosophie, de la connaissance, elle n’en est même pas une pure modification, c’est-à-dire un élément secondaire dérivé et régi par le cerveau, comme la connaissance elle-même ; mais elle est le Prius de la connaissance, le noyau de notre être et cette propre force originelle qui crée et entretient le corps animal, en en remplissant toutes les fonctions inconscientes et conscientes : comprendre cette vérité est le premier pas à faire pour pénétrer dans ma métaphysique. Si paradoxal qu’il puisse sembler aujourd’hui encore à beaucoup de gens, que la volonté soit en elle-même privée de connaissance, cependant les scolastiques eux-mêmes l’ont déjà vu et reconnu en quelque façon, puisqu’un homme des plus versés dans leur philosophie, Jul.-Cés. Vanini, cette célèbre victime du fanatisme et de la fureur cléricale, dit dans son Amphitheatrum, p. 181 : Voluntas potentia cæca est, ex scholasticorum opinione. — En outre, c’est cette même volonté qui fait germer le bourgeon de la plante, pour en tirer des feuilles ou des fleurs ; bien plus, la forme régulière du cristal n’est que l’empreinte laissée par son effort d’un moment. Enfin d’une façon générale, en sa qualité de véritable et unique αυτοματον, au sens propre du mot, c’est elle aussi qui est au fond de toutes les forces de la nature inorganique, qui se joue et agit dans leurs phénomènes variés, qui prête de la force à leurs lois, et se laisse reconnaître jusque dans la matière la plus brute sous forme de pesanteur : voilà la seconde vérité, le second pas à faire dans ma théorie fondamentale, et qui exige déjà une plus longue réflexion. Mais ce serait la plus grossière des méprises que de croire qu’il s’agit ici d’un simple mot destiné à désigner une grandeur inconnue : c’est au contraire la plus réelle de toutes les connaissances réelles qui est ici en question. C’est en effet la réduction de ce qui est tout à fait inaccessible à notre connaissance immédiate, c’est-à-dire d’une notion a nous étrangère et inconnue dans son essence, et que nous dénommons du terme de force naturelle, à ce dont nous avons la connais-

  1. Ce chapitre correspond au § 23 du premier volume.