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vue objective de l’intellect

toutes choses, pour construire ensuite sur ces données Ontologie, Cosmologie et Théologie, — telle a été proprement l’erreur séculaire et fondamentale à laquelle la doctrine de Kant a mis fin. Notre étude objective et par suite en grande partie physiologique de l’intellect se rencontre donc avec les considérations transcendantales de Kant ; en un certain sens même elle se présente comme une vue a priori sur ces considérations, puisque, prenant son point de départ en dehors d’elles, elle nous fait connaître dans sa genèse, et par là comme nécessaire ce que Kant, appuyé sur des données de la conscience, ne nous montre que comme existant dans les faits. Que résulte-t-il en effet de notre examen objectif de l’intellect ? Le monde comme représentation, tel qu’il existe, étendu dans l’espace et dans le temps, et tel qu’il se meut sans cesse, conformément à la règle rigoureuse de la causalité, n’est avant tout qu’un phénomène physiologique, une fonction cérébrale, que le cerveau accomplit sans doute à l’occasion de certaines excitations extérieures, mais cependant selon ses propres lois. On le conçoit donc d’avance, ce qui se produit dans cette fonction même, c’est-à-dire par elle et pour elle, ne peut nullement être regardé comme l’essence de choses en soi qui seraient indépendantes et totalement différentes de la fonction même ; ces phénomènes au contraire représentent simplement avant tout le mode et la nature de cette fonction même, car cette fonction ne peut jamais subir que des modifications très secondaires de la part de choses entièrement indépendantes d’elle-même, et destinées seulement à l’exciter et à la mettre en mouvement. D’après ces principes, Locke déniait aux choses en soi, pour l’attribuer aux organes des sens, tout ce que la perception doit à la sensation ; Kant, avec la même intention, est allé plus loin dans la même voie et a démontré que tout ce que l’intuition proprement dite rend possible, c’est-à-dire espace, temps et causalité, n’est que fonction cérébrale : à la vérité, il s’est abstenu de cette expression physiologique, à laquelle notre présente manière de voir, notre point de vue opposé et réaliste nous conduit nécessairement. Kant, par la voie analytique, est arrivé à ce résultat que la matière de notre connaissance n’est que pur phénomène. Le vrai sens de ce terme énigmatique se trouve éclairci par notre examen objectif de l’intellect dans sa formation. Les phénomènes, ce sont les motifs, appropriés aux fins d’une volonté individuelle, tels qu’ils se représentent dans l’intellect créé à cet usage par la volonté (et cet intellect lui-même se manifeste objectivement sous forme de cerveau), et ces motifs, saisis aussi loin qu’on en peut poursuivre l’enchaînement, et rassemblés, forment par leur connexion ce monde qui se développe objectivement dans le temps et dans l’espace, ce monde que j’appelle monde comme représen-