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le monde comme volonté et comme représentation

de cette réunion est né le tout : car c’est bien cela que veut dire le mot composé. Mais une telle hypothèse est aussi insoutenable que l’hypothèse contraire. Qui dit divisibilité dit simplement possibilité de diviser le tout en parties ; la divisibilité n’implique nullement que le tout est composé des parties, c’est-à-dire engendré par elles. La divisibilité implique l’existence de parties dépendantes du tout, a parte post ; elle n’implique nullement l’existence de parties antérieures au tout, a parte ante. Entre les parties et le tout, il n’y a en réalité aucun rapport de temps ; loin de là, parties et tout se conditionnent mutuellement et sont par conséquent toujours simultanés : car, s’il existe quelque chose d’étendu dans l’espace, c’est uniquement en tant que deux choses existent ensemble. Par suite ce que Kant dit dans la remarque sur la thèse, à savoir : « on devrait appeler l’espace non pas un composé, mais un tout… », est également tout à fait vrai, si on l’applique à la matière ; celle-ci en effet n’est autre chose que l’espace devenu perceptible. Quant à cette assertion contenue dans l’antithèse, à savoir que la matière est divisible à l’infini, elle découle a priori, incontestablement, du principe de la divisibilité infinie de l’espace ; car la matière est ce qui remplit l’espace. Contre ce principe il n’y a aucune objection à faire ; aussi dans un autre passage[1], ayant dépouillé son rôle d’avocat du diable, Kant, en un aveu fort sincère et fort personnel, nous le représente comme une vérité objective ; de même dans les Fondements métaphysiques des sciences de la nature[2], nous trouvons le principe suivant : « la matière est divisible à l’infini », exprimé comme une vérité incontestable, en tête de la démonstration du premier principe de la mécanique ; du reste, la même vérité avait déjà été exposée et démontrée comme premier principe de la dynamique. Mais ici Kant gâte la démonstration de son antithèse par la singulière confusion de son exposé, par un flot de paroles inutiles, sans doute dans l’intention astucieuse de ne point renverser les sophismes de la thèse par la simple et claire évidence de l’antithèse. — Les atomes ne sont point une idée nécessaire de la raison, mais seulement une hypothèse tendant à expliquer la différence des poids spécifiques des divers corps. Cependant nous pouvons expliquer cette différence par une autre hypothèse meilleure et même plus simple que l’atomistique. Kant lui-même le montre dans la dynamique de ses Fondements métaphysiques des sciences de la nature ; il avait été précédé dans cette voie par Priestley, On matter and spirit[3]. L’on trouve même déjà

  1. Critique de la Raison pure. P. 513,5e éd. P. 541.
  2. P. 108. 1re éd.
  3. Sect. I.