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le monde comme volonté et comme représentation

tout, comme l’on est forcé d’étudier la raison pour comprendre la conséquence. — Voilà pourtant les difficultés énormes sur lesquelles, chez Kant, l’amour de la symétrie arrive à l’emporter.

3. — Sous la rubrique de la relation viendrait se ranger fort à propos l’Idée de la cause première du monde. Mais Kant est forcé de réserver cette Idée pour la quatrième rubrique (modalité), sans quoi il ne resterait rien à y mettre ; il force donc bon gré mal gré l’Idée de la cause première du monde à rentrer sous la catégorie de la modalité. Voici comment il s’y prend : il a une définition du contingent diamétralement opposée à la vérité ; pour lui, est contingente toute conséquence d’un principe ; or il remarque que c’est la cause première du monde qui transforme le contingent en nécessaire. — Mais il s’agit maintenant de rattacher une Idée à la troisième rubrique, à la catégorie de la relation : Kant choisit à cet effet le concept de la liberté ; notons que sous ce concept il n’entend en réalité que l’Idée de la cause du monde, laquelle d’ailleurs se trouverait ici à sa seule et véritable place ; tout cela ressort clairement de la remarque, annexée à la thèse de la troisième antinomie. La quatrième antinomie n’est au fond qu’une répétition de la troisième.

À ce propos je trouve et je déclare que toute la série des antinomies n’est qu’une feinte, un simulacre de conflit. Seules, les propositions appelées antithèses reposent effectivement sur les formes de notre faculté de connaître ; autrement dit, — et pour parler au point de vue objectif — elles sont seules à reposer sur les lois de la nature, nécessaires, universelles, a priori. Seules, elles tirent leurs démonstrations de raisons objectives. Au contraire les propositions appelées thèses, et leurs démonstrations, n’ont d’autre fondement qu’un fondement subjectif ; elles reposent purement et simplement sur la faiblesse et sur les sophismes de l’individu : l’imagination se fatigue de remonter indéfiniment en arrière et elle met un terme à sa course au moyen d’hypothèses arbitraires qu’elle essaie de pallier du mieux qu’elle peut ; ajoutez à cela que le jugement se trouve dans l’impossibilité de quitter cette mauvaise voie où le retiennent des préjugés invétérés. Aussi, dans chacune des quatre antinomies, la démonstration de la thèse est elle un sophisme ; au contraire la démonstration de l’antithèse est une conséquence incontestable, déduite par la raison, des lois a priori du monde de la représentation. Il a fallu à Kant beaucoup de peine et beaucoup d’artifice pour faire tenir debout les propositions-thèses, pour leur donner une certaine valeur spécieuse en face des antithèses qui, elles, étaient naturellement très fortes. Voici d’ailleurs quel est, à cet effet, l’artifice principal et constant qu’il emploie : il ne procède point comme un homme qui a conscience de la vérité de son asser-