Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
le monde comme volonté et comme représentation

concept de l’âme de nier explicitement, ce que tout à l’heure, lors de la formation du concept de substance, on avait implicitement négligé, je veux dire l’étendue, l’impénétrabilité, la divisibilité. Ainsi le concept de substance n’avait eu d’autre raison d’être que celle-ci : servir de véhicule pour faire passer le concept de la substance immatérielle. Par suite le concept de substance, loin d’être une catégorie ou une fonction nécessaire de l’entendement, n’est au contraire qu’un concept des plus, superflus : tout son vrai contenu se trouve déjà dans le concept de matière ; à part le concept de matière, il ne contient pour ainsi dire, qu’un grand vide ; et ce vide il ne parvient à le remplir qu’en introduisant subrepticement l’espèce dite substance immatérielle ; or c’était justement pour servir de véhicule à la substance immatérielle qu’on avait inventé la substance en général. Voilà pourquoi, rigoureusement parlant, l’on doit rejeter le concept de substance et le remplacer partout par celui de matière.


Les catégories étaient un lit de Procuste où l’on appliquait d’une manière générale tous les objets ; les trois sortes de raisonnements ne jouent ce rôle qu’à l’égard de ce que Kant nomme les trois Idées. L’Idée de l’âme avait dû bon gré mal gré trouver son origine dans la forme du raisonnement catégorique. Kant se trouve maintenant en présence des représentations dogmatiques que nous avons sur l’ensemble du monde, lorsque nous le pensons comme objet en soi, compris entre les deux limites de la petitesse extrême — l’atome, et de la grandeur extrême — les bornes du monde dans le temps et dans l’espace. Or il est, pour Kant, de toute nécessité que les représentations en question émanent de la forme du raisonnement hypothétique. Du reste pour confirmer cette assertion, Kant n’a pas à faire de nouvelle violence à la vérité. En effet, le jugement hypothétique tire sa forme du principe de raison ; or c’est en appliquant inconsidérément et radicalement ce principe, puis en le mettant non moins arbitrairement de côté, que l’on est arrivé en réalité à créer toutes les soi-disant Idées, non pas seulement les Idées cosmologiques. Voici comment on s’y prenait : l’on se contentait d’abord, conformément au principe de raison, de rechercher la dépendance des objets entre eux ; mais l’imagination fatiguée de ce jeu, finissait par assigner un but à sa course. C’était oublier que tout objet, que la série des objets, que le principe de raison lui-même trouve dans la plus étroite de toutes les dépendances, celle du sujet connaissant ; c’était oublier que le principe de raison n’a de valeur que pour les objets du sujet connaissant, c’est-à-dire pour les représentations ; qu’il a pour seule destination d’assigner aux