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critique de la philosophie kantienne

qu’à titre de sujet, non à titre de prédicat[1] ; toutefois il y avait déjà un exemple de cette impropriété dans la métaphysique d’{{lié|Aristote[2]. Rien n’existe comme sujet ou comme prédicat : ce sont là des expressions qui appartiennent exclusivement à la logique et qui désignent les rapports des concepts abstraits entre eux. Toutefois le sujet et le prédicat ont, dans le monde intuitif, leurs corrélatifs, leurs termes correspondants : la substance et l’accident. Or nous n’avons pas à chercher bien loin pour trouver la substance, ce qui existe toujours à titre de substance, jamais à titre d’accident : la substance nous est directement donnée dans la matière. La matière est substance au regard de toutes les propriétés des choses ; et celles-ci sont ses accidents. La matière est réellement, pour employer l’expression kantienne que nous avons citée, le sujet dernier de tous les prédicats se rapportant à une chose quelconque donnée empiriquement ; autrement dit, elle est ce quelque chose qui subsiste, lorsqu’on a fait abstraction de toutes les propriétés possibles d’une chose. Or il existe quelque chose de tel dans l’homme, comme dans l’animal, dans la plante ou dans la pierre, et cela est si évident que, pour ne point le voir, il faut y mettre une mauvaise foi insigne. Du reste la matière est le prototype du concept de substance, ainsi que je le montrerai bientôt. Maintenant voyons ce que c’est que sujet et prédicat. Le sujet et le prédicat sont à la substance et à l’accident ce qu’est le principe de raison suffisante à la loi de causalité, ce qu’est un principe de logique à une loi de la nature ; principe de raison suffisante, loi de causalité, voilà deux termes qui ne sont ni convertibles, ni identiques. Le sujet et la substance, le prédicat et l’accident, eux non plus ne sont ni convertibles, ni identiques. Or Kant s’est manifestement permis de les convertir et de les identifier dans ses Prolégomènes[3], alors qu’il s’agissait, étant donnés le sujet dernier de tous les prédicats et la forme du raisonnement catégorique, d’en faire dériver le concept de l’âme. Pour démasquer le sophisme qu’il y a dans ce paragraphe, il suffit de réfléchir un peu, et l’on s’aperçoit que le sujet et le prédicat sont des déterminations purement logiques, concernant uniquement et exclusivement les concepts abstraits ou plutôt les rapports des concepts abstraits entre eux dans le jugement : la substance et l’accident au contraire appartiennent au monde intuitif et à son aperception par l’entendement : ce sont des termes identiques à ceux de matière et de forme (ou qualité).

L’antithèse, qui a donné lieu à la théorie des deux susbtances

  1. Par exemple, Critique de la raison pure, p. 323,5e éd., p. 412. Prolégomènes, §§ 4 et 46.
  2. Livre IV}}, cap. 8.
  3. § 46.